Skipp Admin
| Sujet: Quand les Anglais parlaient français Jeu 7 Sep 2006 - 8:44 | |
| Bonjour, Voici un excellent article de Foulques que l'on peut retrouver sur le forum www.Passion-Histoire.net: - Foulques a écrit:
- Quand les Anglais parlaient français
Le couronnement de Guillaume de Normandie (ou le conquérant ou the bastard) à la Noël 1066 à Londres comme roi d’Angleterre, et la confiscation des charges nobles et ecclésiastiques par les Normands qui s’ensuivit, changera la donne linguistique anglaise pour des siècles.
La nouvelle élite parle son idiome, le franco-normand, alors que le peuple continue bien sûr de parler sa langue et que le latin reste celle, savante, des clercs.
La langue dominante est un rapport de puissance, même s’il faut d’abord penser au prestige avant l’oppression. Par ailleurs le fait que les nouveaux seigneurs n’avaient pas rompu leurs attaches de Normandie, qu’ils avaient des domaines de part et d’autre de la Manche, favorisait leur attachement à leur langue ancestrale.
Le franco-normand va grandement influencer le vieil-anglais parlé jusque-là, d’abord dans sa graphie. Les scribes Normands appliquent les signes qu’ils connaissent. Par exemple, cw sera noté qu (cwene>queen), les lettres z et g apparaissent. Ces transformations marquent un changement d’époque, donnant naissance à ce qu’on appellera le moyen-anglais. C’est dès les XI-XIIe siècles que vont entrer dans le vocabulaire anglais des mots normands comme :
Car (char), captain, to carry (carrier), caterpillar (chenille, de cattepelose "chatte poilue"), castle (château), to catch (de cachier, "chasser "), cattle (catel, "bétail"), cauldron (caudron), …
On sait que ces termes provenaient du normand car leurs équivalents dans la langue de l’Ile-de-France à la même époque commençaient eux par ch (charrier, chastel, chattepelose, chacier, chaudron, etc…).
Mais ces derniers apports de mots représentent fort peu de choses par rapport à ceux ultérieurs du français qui constituent entre un et deux tiers, selon les linguistes, du vocabulaire anglais. Il y aura à cela au moins deux raisons. La première est le prestige de la couronne de France. A partir du XIIe s., la langue de l'Ile-de-France va gagner un prestige considérable, à la mesure de la croissance et de la stabilité de la royauté française. Le "bel françois" bénéficie également de la considération qu’on a pour les langues écrites : les chansons de geste françaises circuleront dans toute l’europe. Progressivement, son entendement et son usage vont dépasser sa région d'origine et influencer les parlers locaux. Ainsi, nos Normands adopteront progressivement cette langue jugée plus noble et peu éloignée de la leur en fait.
La deuxième raison sera la continuité étonnante des liaisons maritales entre rois d’Angleterre et princesses royales françaises pendant trois siècles. De 1152 à 1445, chaque roi d’Angleterre prendra une épouse dans l’hexagone ! Douze reines vont faire vivre la langue française à la cour ou tout au moins empêcher de l'oublier. Sans compter que de nombreux rois et princes séjourneront longtemps sur le continent, comme Henry II ou le Prince Noir (Richard Cœur de Lion a sa sépulture à Fontevraud).
En Angleterre, langue courante de l’élite, langue maternelle des rois, le français sera aussi la langue unique des affaires officielles et celle de l’enseignement dans les universités.
Impossible et fastidieux de lister ici ne serait-ce que le dixième de ces mots tant l’apport a été massif (voir aussi que beaucoup de mots sont tombés en désuétude). Dans les mots anglais usités encore, et des plus connus en France :
Computer....computer (calculer) Bacon........ bacon, baconnel Duke......... duc Judge........ juge Plenty....... a plente (à foison) Mushroom.. mousseron (champignon) Foreign..... forain Veal......... veau Match....... meiche (mèche) Flower...... fleur Rental...... rental (soumis à une redevance annuelle) Van.......... caravane Jewel........ juel (joyau) Money...... moneie Nurse....... nourrice Proud....... preux Country.... contrée Towel....... toaille (serviette) Chair........ chaiere (chaise) Mustard.... moutarde Corner..... corniere Leisure..... leisure (permission de faire quelque chose) Handkerchief.... kerchief vient de couvre chief …
Une perle : Le fameux How do you do ? Qui a paru étrange à tous les petits francophones l’apprenant à l’école, vient en fait de la forme ancienne en français Comment le faites-vous ? Qui était une façon de dire "Bonjour, comment allez-vous ?"
Ce qui est amusant c’est que les étudiants anglais ont sans doute moins de mal que les étudiants français pour étudier le vieux-français ! Ceci vient du fait que leur langue a été simplifiée et restée plus proche de la langue originale, alors que la nôtre a été triturée et compliquée à loisir par des hordes de grammairiens sourcilleux.
Ainsi la fameuse élision du s au profit de l’accent circonflexe par la réforme de l’Académie en 1740. Des mots anglais ont gardé la forme originale du français antérieur dont ils sont issus, comme :
Forest...... forêt Bastard.... bâtard Master..... maître Priest....... prêtre Quest...... quête Cost........ coût Oyster..... huître Coast...... côte Honest..... honnête … De même, après cette réforme, la forme es sera remplacée par é , mais encore perceptible par ces mots anglais :
Spice........ épice Strange.... étrange Study....... étude To spy...... épier Screen..... écran …
C’est la guerre de cent ans, origine de nos consciences nationales respectives, qui va mettre un terme à la prédominance du français dans l’élite anglaise. Par agacement et réaction, les bourgeois anglais vont peser sur leur élite pour qu’ils cessent de promouvoir officiellement la langue de l’ennemi. Dès 1349, les professeurs d’Oxford enseigneront en anglais, en 1362 le discours d’ouverture du Parlement l’est également pour la première fois. Chaucer fait entrer l’anglais (de Londres) dans la littérature par la voie royale avec ses Contes de Cantorbery (fin XIVe s.), mais sa langue reste très influencée du français de l’époque.
Henry IV a été le premier roi d’Angleterre dont l’anglais était la langue maternelle. Son fils, Henry V sera le premier à utiliser l’anglais dans ses communications officielles.
Tout comme la naissance du patriotisme français sur le continent dont Jeanne d’Arc est la figure extraordinaire, la cristallisation des Anglais autour de leur vieille langue insulaire est d’ordre nationaliste. Le français restera une langue prestigieuse malgré tout, mais l’Angleterre ira à l’inverse du reste de l’europe où la langue française prendra progressivement une importance considérable. Son rayonnement si connu aux XVII-XVIIIe siècles a en fait des bases très solides dans la période médiévale.
D’officiel, il restera en Angleterre "Dieu et mon droit", devise officielle de la couronne, et la fameuse devise de l’ordre de la Jarretière "Honi soit qui mal y pense".
Bien après le moyen âge, après le XVIIIe s. caractérisé par son anglomanie, des oreilles françaises ont trouvé un intérêt à certains mots entendus outre-manche… Ce que les porteurs d’oreilles en question ne savaient pas, c’est que ces mots anglais venaient du vieux français !
On appelle ça des allers-retours :
Briefing........ Brief (court document officiel) Fuel.............. fouaille (servant à alimenter un feu) Toast............ toster (griller) Rail.............. raille (barre) Budget.......... bougette (bourse portée à la ceinture) Challenge...... chalenge (défi) Parking.......... Parc Dispatcher...... Depescheur (de dépêcher: «expéditeur») Interview....... entrevue …
ça, c’est le drame français : on invente, l’étranger nous le pique, le transforme un peu et nous le revend !
Pour plus de précisions, reportez-vous au livre d’Henriette Walter "honi soit qui mal y pense", dans le livre de poche, dont ce court et grossier résumé est inspiré.
Voir aussi deux liens excellents :
http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/Langues/2vital_inter_anglais.htm
http://www.cvm.qc.ca/encephi/Syllabus/Histoire/Passecompose/ConqueteAngleterre.htm
Foulques | |
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