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 Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER)

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MessageSujet: Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER)   Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER) EmptyLun 18 Sep 2006 - 14:18

Bonjour, Razz

Avec l'autorisation de Thomas FERRIER voici ces textes sur les divinités indo-européennes:
Citation :
Le dieu céleste des Indo-européens.

Nos ancêtres indo-européens avaient, comme leurs descendants celtes, grecs…, une multitude de divinités ; ces divinités étaient essentiellement des représentants des éléments naturels associés à des concepts humains. Leur schéma de pensée était cependant trifonctionnel, comme l’a remarquablement démontré Georges Dumézil, et ils l’appliquaient à tout. La conception du monde en était par exemple tributaire. Le schéma de l’axe cosmique, arbre ou montagne, reliant le ciel à la terre, s’en inspirait. Le ciel, masculin, relève de la première fonction, celle de la souveraineté, la terre, féminine, relève de la troisième fonction, enfin la deuxième fonction est liée à l’arbre cosmique lui-même et associée également à l’orage servant d’intermédiaire entre le ciel et la terre. A chaque élément était associée une divinité. Si la terre appartenait à la déesse *Dhghom *Mater (« Terre mère », grecque Déméter, lituanienne Zemyna, phrygienne Sémélé, celte Dana), déesse également de l’agriculture et de la fécondité, et si l’axe cosmique concernait le dieu de l’orage et de la guerre, appelé aussi bien *Mawort- (Mars romain, Marut indien), *Perkwonos (« le frappeur », slave Perun, albanais Perendi…) ou encore *Tenros (« le tonnant », germanique Donar/Thorr), le ciel était l’apanage du dieu principal des Indo-européens, appelé *Dyeus *Pater, mot à mot le Ciel Père, mais le ciel diurne. C’est celui-ci dont je vous propose l’étude.

*Dyeus *Pater est avant tout le dieu du ciel et du jour, associé à la lumière solaire. Mais beaucoup l’imaginent tonnant et foudroyant à l’image du Zeus grec ou du Jupiter romain et s’étonnent que leur homologue germanique sur un plan linguistique, Tyr, ait des fonctions sensiblement différentes, les fonctions orageuses relevant du dieu Thorr. Cela s’explique en vérité selon le schéma plus haut évoqué, à savoir que l’orage relève de la divinité guerrière et aucunement de la divinité céleste.
En vérité, Zeus et Jupiter sont des exceptions dans le monde indo-européen et il y a fort à parier que ce particularisme est dû à l’influence de la première vague de population européenne, celle qui fonda la civilisation ibérique ou la Crète et qui n’était pas de langue indo-européenne mais d’une langue dont le basque et le géorgien sont probablement les derniers survivants. Ils ignoraient le schéma indo-européen et ne connaissaient qu’une religiosité bi fonctionnelle entre le dieu du ciel et de l’orage, le dieu taureau des Crétois, et la déesse de la terre, la Grande Mère du monde méditerranéen. Or les premiers Grecs avaient en vérité un dieu purement du ciel, Zeus, et un dieu de l’orage et de la guerre, Arès. Par contamination spirituelle, la fonction orageuse se transféra de fils en père ; elle passa d’Arès à Zeus. L’exemple grec incita probablement les Romains à faire de pareil. Mais cette évolution fut plus lente qu’on l’imagine. Dans beaucoup de textes latins et notamment dans le mythe de Romulus et Remus, Jupiter apparaît comme un dieu purement céleste et Mars est bien le dieu de l’orage. Il enlève Romulus sous la forme d’un orage et le taureau, symbole de la foudre, lui est lié.
Dans le monde germanique, c’est l’évolution inverse puisque le dieu de l’orage, Thorr, perd ses fonctions guerrières mais conserve la fonction tonnante alors que c’est Tyr, le dieu du ciel, qui devient le dieu de la guerre. L’aspect proprement céleste du dieu passe quant à lui au dieu Odhinn, dont le nom signifie « le Furieux », sans doute à l’origine une simple épiclèse du dieu de l’orage et de la guerre.
Le cas celte est également intéressant car aucune divinité celtique ne porte un nom issu du *Dyeus indo-européen. Le seul dieu qui puisse clairement s’en rapprocher est Lug, « le lumineux », dont le nom est suffisamment explicite. Lug est, comme le Wotan/Odhinn germanique, un dieu muni d’une lance, qui se sacrifie à lui-même pour acquérir la connaissance, de manière sensiblement analogue au mythe de la pendaison d’Odhinn à l’arbre Yggdrassill afin de découvrir le secret des runes. Lug comme Wotan sont aussi accompagnés de deux corbeaux et de deux loups. Enfin Lug est, comme le Zeus grec, le roi des dieux.
Les Slaves eux aussi ont perdu le nom du dieu indo-européen du ciel et l’appelle donc Svarog, nom lié au sanscrit svarga, le ciel, lui-même issu du nom indo-iranien du soleil, hvar. Mais chez eux le dieu du ciel est aussi un dieu forgeron qui fabrique la foudre pour son fils Perun, le dieu guerrier, mais qui est aussi le créateur du monde.
Certains peuples indo-européens ont donné au dieu céleste une place bien inférieure à celui du dieu de l’orage. Ainsi chez les Hittites, le dieu Sius n’a qu’un rôle marginal par comparaison avec celui de Tahrunt. De même en Inde, Dyaus fait pâle figure face à Indra et alors que ce dernier jouit de centaines d’hymnes dans le Rig-Veda, Dyaus en reçoit fort peu et toujours associé à la déesse de la terre Prithivi. En Iran, le dieu du ciel est Dyaosh mais son nom a disparu assez tôt pour être transformé par Zoroastre en Ahura Mazda, qui signifie « sagesse divine », que les Grecs, fins ethnologues, appelleront Zeus Oromazdès.
Trois peuples seulement semblent avoir conservé intégralement le système religieux des Indo-européens. Il s’agit d’abord des Lettons et des Lituaniens, qui mettent sur un quasi pied d’égalité le dieu du ciel, Dievs/Dievas, et le dieu de l’orage, Perkons/Perkunas. Puis des Albanais où En, dieu du ciel, et Perendi, dieu de l’orage, se côtoient de manière analogue au cas balte.

Il est temps maintenant, après cette phase de comparaison entre dieu du ciel et dieu de l’orage, de mieux cerner les fonctions véritables et originelles du dieu du ciel des Indo-européens avant la grande dispersion.
On notera en premier lieu l’importance du titre de *pater, « père », qui est associé à son nom, *Dyeus. Car dans la quasi-totalité des peuples indo-européens, ce titre est conservé. On a Zeus Patêr en Grèce, Dius Pater, fusionné en Jupiter, à Rome, Dyaus Pitar en Inde ou encore Dyaosh Pita en Iran. Mais ce titre n’indique pas seulement une certaine dignité ; concrètement il souligne que le dieu du ciel est le père des autres divinités, comme son épouse la déesse de la terre en est la mère. Et s’il est père, il est aussi roi. Il est sur le plan divin ce qu’est le *regs (roi) indo-européen sur le plan terrestre. Il faut aussi souligner que *Dyeus n’est pas simplement le dieu du ciel, il est aussi le dieu de la lumière du jour, liée à la couleur blanche, qui est d’ailleurs la couleur symbolisant la première fonction indo-européenne de souveraineté.
Les Indo-européens le représentaient probablement sous les traits d’un homme d’âge mûr et barbu, proche du visage de Zeus selon les statues grecques. L’idée qu’il ait eue trône et sceptre n’est pas non plus à rejeter. Il devait vivre sur le haut d’une montagne, comme Zeus sur l’Olympe, autour d’une cour de divinités.
Cependant si notre héritage indo-européen est fondamental, on ne saurait nier le passé pré indo-européen de notre civilisation et les cousins de *Dyeus ne manquent pas. Il y a d’abord le dieu finnois Jumala, lui aussi père des dieux et des hommes. Et puis il y a aussi le basque Ortzi, dieu du ciel et de l’orage. Les Hongrois connaissent Isten, père de leur race et dieu céleste.

Maintenant, étudions l’évolution des différents descendants de *Dyeus en Europe, cas par cas.

Chez les Germains, le dieu du ciel Tius (Tyr) conserva ses fonctions jusqu’au moins au troisième siècle de notre ère. Le nom de la tribu des Teutons semble bien venir de Tius, de même que la divinité Tuisto, mentionnée par Tacite dans « La Germanie », est très vraisemblablement une déformation de son nom. Puis le « Mercure » germanique, Wotan, vit son rôle s’accroître considérablement. Chez les Scandinaves du dixième siècle, Tyr n’est qu’un dieu fort marginal alors qu’Odhinn est le dieu principal. Il apparaît sous le rôle d’un dieu guerrier, mais quel dieu germanique ne l’est pas un peu, même Freyr est muni d’une épée. Sa fonction originelle de souveraineté subsiste dans son rôle de dieu patron de l’assemblée du peuple, la Thing.
Chez les Celtes en revanche, Lug était un dieu de premier plan, fondateur mythique de nombreuses cités (Lugo, Leoñ, Lyon, Loudun, Leipzig, Londres), honoré partout avec la même ferveur, aussi bien sous les traits du Lugus gaulois que du Lugh irlandais et du Lleu gallois. C’est lui que l’empereur Auguste appelait le « Mercure gaulois ». Il fut récupéré lors de la christianisation par Saint-michel mais aussi par Jésus lui-même, qui comme Lug, était un « dieu » sacrifié.
Les Slaves honorèrent Svarog légèrement au-dessus des autres dieux et ce pendant longtemps. Mais la présence des Varègues scandinaves qui fondèrent l’état de Kiev le fit passer au second plan derrière le dieu de l’orage Perun, assimilé à Thorr. C’est le culte de Perun que mit en avant le roi Vladimir avant finalement de choisir la voie chrétienne. Mais les paysans slaves l’appellent parfois encore sous le nom de « petit père ».
Les Baltes mettaient Dievas sur le même plan que le dieu de l’orage. Mais très vite Dievas fut considéré par la population comme l’équivalent du dieu de leurs voisins chrétiens. Cette image fut si forte qu’aujourd’hui encore le dieu païen du ciel et le Dieu chrétien portent le même nom. C’est comme si les Grecs actuels appelaient le dieu chrétien du nom de Zeus, et pourtant en terre balte c’est le cas.
L’Inde actuelle n’a rien retenu du dieu Dyaus qui, déjà à l’époque védique, était fort marginal. Le plus grand dieu des Vedas, Indra, n’est lui-même qu’une divinité secondaire. On peut cependant considérer que la fonction céleste de Dyaus se retrouve quelque peu dans Vishnu et certains religieux hindous pétris de védisme semblent vouloir lui redonner une place plus conforme à ce qu’il fut à l’origine, à savoir le grand dieu du ciel des Indo-iraniens, avant que ceux-ci ne lui préfèrent Varuna, Mitra et Indra. En revanche, les Iraniens lui donnèrent une place prépondérante, on l’a vu, mais l’islam a balayé tout ça, à l’exception des Guèbres iraniens et des Parsis indiens.

Le cas gréco-romain est cela dit le plus intéressant pour illustrer l’évolution européenne du dieu céleste. En effet, Zeus/Jupiter est un dieu fondamental du panthéon olympien et recevait de nombreuses épithètes à sa gloire. Pour les Grecs, Zeus était le dieu libérateur (Eleutherios), sauveur (Soter), le garant des serments (Horkios), l’olympien (Olympios) et même le maître de l’univers (Pantocrator). Les Romains soulignaient son rôle de dieu orageux, l’appelant le Tonnant (Tonans), le lanceur de foudre (Fulgurator), mais l’épithète qu’ils préféraient était sans conteste « Très Bon et Très Grand », Jupiter Optimus et Maximus, I.O.M. Jupiter était honoré sur une des collines les plus sacrées de Rome, le Capitole.
Les philosophes grecs et romains aimaient à voir en Zeus/Jupiter la figure même de leur religiosité, au point où certains en firent même une sorte de dieu unique et souverain, tout en respectant cela dit le polythéisme officiel dans les formes. D’ailleurs Zeus était fréquemment appelé Theos par les fidèles, de même que Jupiter, Deus. Certains appelaient Jupiter du surnom d’Exsuperantissimus, « le Très-Haut », pour souligner qu’il était au-dessus de la mêlée des autres dieux. Et lorsque Grecs et Romains rencontrèrent les Juifs, ils virent très naturellement en Yahweh la variante juive de leur Zeus/Jupiter, et ne comprirent pas que cela puisse être source de conflit. La querelle pourtant s’échauffa. Ainsi, le roi hellénistique Antiochos IV Epiphane voulut installer une statue colossale de Zeus dans le temple de Jérusalem, ce qui suscita une révolte juive de grande ampleur. Lors de la guerre contre les Juifs menée par Hadrien, conséquences de la révolte de Bar Koshba, ce n’est pas sans ironie que rasant le temple de Salomon dédié à Yahweh, il fit construire en lieu et place un temple consacré à Jupiter Capitolin, et pire encore qu’il instaura un impôt aux Juifs qualifié de « capitolin ». Le judéo-chrétien Saül de Tarse (Saint Paul) sut habilement jouer de la ressemblance entre le dieu suprême des européens, Jupiter/Zeus, et le Yahweh hébraïque, afin de favoriser la conversion. Vers 135 de notre ère, les Chrétiens décidèrent d’abandonner le nom de Yahweh pour celui de Deus en latin, Theos en grec, au moment même où Hadrien écrasait la révolte juive, ce qui ne doit donc rien au hasard. L’abandon d’une ligne par trop orientale et juive contribua de manière décisive à la vision du christianisme qu’eut le premier empereur romain « chrétien », Constantin, qui pensa très sincèrement que Jupiter et le Dieu chrétien étaient identiques et que Jésus était un autre Apollon/Sol.
Alors que le judaïsme, l’islam et le christianisme officiellement interdisent à leurs fidèles de représenter Dieu, la vision populaire européenne de celui-ci est de le représenter comme un dieu barbu lanceur de foudre, ce qui est tout simplement l’image classique de Zeus. Preuve s’il en est que derrière le Dieu chrétien se cache le vrai dieu des Européens, issu du *Dyeus indo-européen. Une citation de H.S Chamberlain illustre parfaitement le phénomène, « Yahweh devint le Dieu des Indo-européens », c'est-à-dire que le dieu juif se substitua, par le biais du christianisme, au Dieu européen.

TF


Dernière édition par le Lun 18 Sep 2006 - 14:55, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER)   Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER) EmptyLun 18 Sep 2006 - 14:19

Citation :
Le dieu de l’orage et de la guerre des Indo-européens.

Après avoir étudié le dieu de la première fonction indo-européenne, il est maintenant temps de s’intéresser au cas du deuxième dieu fondamental du panthéon indo-européen, le dieu de l’orage et de la guerre. D’abord il convient de souligner que le lien entre l’orage et la guerre est naturel, selon le principe que l’orage est au ciel ce que la guerre est à la terre. En somme l’action de ce dieu est double, divine car il est le protecteur des dieux contre les forces de destruction, humaine ensuite car il est aussi le protecteur des hommes ou du moins de certains hommes contre d’autres. Ce dieu fut sans doute au moins aussi honoré que son père le dieu du ciel ; il était un dieu idéal pour des conquérants comme nos ancêtres indo-européens. Héraclite disait que la guerre est père de tout, « polemos pantôn patêr esti » ; c’est donc dire à quel point le dieu guerrier était important. Selon les sociétés indo-européennes, évoluées ou moins évoluées, il agissait en héros solitaire ou avec un cortège de divinités guerrières.

Chez les Grecs, le dieu correspondant à cette divinité est Arès, dont le nom semble bien signifier « le noble », issu d’ *aryos, « noble, aryen ». Mais il jouit d’une relative mauvaise réputation, du moins aux yeux de beaucoup d’analystes de la religion grecque, bien que cela soit en vérité très discutable. Si Arès chez Homère n’est pas vu sous un jour favorable, c’est peut-être pour mieux honorer la déesse rivale d’Arès, Athéna, très en honneur chez les Ioniens. En fait, Arès avait deux sanctuaires à Sparte, l’un dédié à Arès Enyalios, « celui d’Enyô », et l’autre dédié à Arès Théritas, « le sauvage ». Il disposait également d’un sanctuaire au cœur même d’Athènes en compagnie d’Athéna Areia, « celle d’Arès ». Enfin c’était le grand dieu de Thèbes, le père fondateur de la cité. A Olympie également, il était honoré en tant qu’Arès Hippios, « cavalier ». Il était l’époux ou l’amant, selon les variantes, de la déesse de l’amour Aphrodite, mais il était aussi l’amant de la déesse de l’aurore Eôs ou encore de sa sœur Eris, déesse de la discorde.
A Rome, il s’agissait du dieu Mars ou Mavors, qui était aussi associé à la fécondité des champs et à leur protection et qui était aussi un dieu forestier, Mars Silvanus. Néanmoins il était surtout le dieu de la guerre et était honoré hors de la cité. Il disposait d’un temple dédié à Mars Gradivus. Il fut le grand dieu de la république avant de perdre son aura et de ne la retrouver qu’avec César et surtout avec Auguste qui donna au dieu le titre de Ultor, « vengeur de César ». Par la suite Mars reçut de nouvelles épiclèses, certaines soulignant même un nouveau rôle, celui de garant de la paix impériale. Il était toutefois très présent dans le mythe lié au fondateur de Rome, Romulus, qui était lui-même le fils de Mars et d’une vestale du nom de Silvia. Cela dit, à la fin de l’empire romain Mars n’était guère honoré car les derniers païens valorisaient davantage soit le Dieu païen, Zeus/Jupiter, soit les dieux pouvant faire répondant au Christ, comme le dieu Sol ou le dieu sauveur Hercule. Mars dans ce schéma n’avait à leurs yeux pas sa place. Et pourtant quelle plus belle opposition entre l’Agnus Dei, « l’agneau de Dieu », des Chrétiens, et le Lupus Martius, « le loup de Mars », des Païens.
Le monde celte connut de nombreuses divinités guerrières mais Taranis sort du lot. Dieu de l’orage et du ciel, Taranis a aussi des fonctions guerrières incontestables. Il combat le dragon Tarascus pour préserver le monde. Il lance la foudre sur des démons anguipèdes. A côté de lui, Ogmios et Lug disposent aussi de fonctions guerrières, le dieu authentique de la guerre étant Camulos, le Camal irlandais, dont Camulogenos, un des héros gaulois face à Rome, portait le nom.
Pour les peuples germaniques, tous les dieux peuvent guerroyer, même la déesse de l’amour Freyja ou le pacifique dieu de la fécondité Freyr. Aussi il est difficile de déterminer qui est le dieu correspondant à celui des Indo-européens originaux. Wotan/Odhinn, dont le nom signifie « le furieux », est un curieux mélange d’Hermès (il est dieu des chemins et du commerce mais aussi dieu de la sagesse, comme Hermès/Mercure), de Zeus (il est roi des dieux) et de dieu de la guerre (il dirige les combattants du Valhöll). Cela dit, le dieu de l’orage, et donc aussi de la guerre, n’est pas Odhinn, ni même Tyr, qui correspond au Zeus grec, mais le dieu Donar/Thorr muni de son marteau Mjöllnir. Thorr est le protecteur du royaume des hommes, Midgard, et parcourt le monde, à l’image d’Héraclès, pour y détruire les forces du chaos incarnées par les géants et par le serpent Jormungandr.
Les Slaves connaissent également deux divinités guerrières, l’une dont l’aspect orageux est fondamental, Perun, l’autre dont l’aspect guerrier prime, Jarovit, à rapprocher du nom du dieu grec de la guerre Arès. Perun est un dieu muni d’une hache, donc proche du marteau de Thor, mais c’est aussi le roi des dieux.
Les peuples baltes sont en ce domaine assez proches des Slaves avec un dieu orageux principal, Perkunas, fils du dieu du ciel Dievas, et un dieu guerrier assez marginal du nom de Kovas.
Dans le domaine indo-iranien en revanche, le dieu de l’orage a conservé intégralement son rôle de dieu de la guerre. C’est le cas de l’Indra indien, qui ne connaîtra de concurrent que tardif, le dieu Skanda, qui est peut-être une divinisation d’Alexandre le Grand (appelé Iskander dans le monde musulman). C’est aussi le cas de l’Indar iranien, devenu par la suite sous le zoroastrisme le dieu Verethraghna, dieu guerrier dont le mythe principal est son apparition aux hommes sous la forme de 10 incarnations ou avatars (un sanglier, un cheval, un corbeau… un jeune homme et un guerrier muni d’une épée, cette dernière incarnation étant en fait la représentation habituelle du dieu de la guerre). Cependant les fonctions orageuses d’Indra, symbolisées par son sceptre, le vajra, sont passées en Iran au dieu Mithra, possesseur du vagra.
Les Albanais possèdent le dieu Perendi, époux de la déesse de l’amour Prenda ; son nom fut réutilisé par les chrétiens albanais pour désigner le dieu chrétien, ce qui est tout de même étonnant. Que le dieu du ciel soit récupéré pour désigner le dieu chrétien, de nombreux exemples l’illustrent, ce qui témoigne de l’extrême particularité du paganisme albanais.
Quant aux Hittites, ils ont fait du dieu orageux Tahrun(t) le dieu suprême de leur panthéon, alors que le dieu céleste Sius est extrêmement marginal.

A la différence du dieu céleste dont le nom, *Dyeus, se retrouve chez la plupart des peuples indo-européens à l’exception des Celtes et des Slaves, le dieu orageux porte des noms extrêmement variés et est en concurrence avec d’autres dieux guerriers. Cela s’explique probablement par le fait que, dès les temps indo-européens, ce dieu possédait plusieurs épiclèses signalant son rôle. Il était déjà un dieu « tonnant », *Tenros, épiclèse que l’on retrouve dans le Taranis celte, le Thor germanique et probablement le Tahrun hittite, bien que cela soit davantage controversé. Il était également un dieu « frappeur », *Perkwnos, épiclèse que l’on retrouve chez le dieu balte Perkunas, le dieu slave Perun, l’albanais Perendi ou l’indien Parjanya. Il semble avoir également été appelé du nom d’*Aryos, « le noble, le brave », que l’on retrouverait dans l’Arès grec, le Jarovit slave ou le dieu arménien Aray. Enfin il semble également avoir été appelé du nom d’*Neros, « l’homme noble », comme dans le mot grec anêr et dans le nom du dieu indo-iranien Indra (indien) ou Indar (iranien). On pourrait aller jusqu’à considérer qu’il était le dieu tutélaire du peuple indo-européen originelle, comme Mars l’était pour les Romains. Le cas de Mars est d’ailleurs le plus intéressant. Le rapprochement qui est fait de son nom, en particulier dans sa variante Mavors, avec des divinités indiennes de l’orage, les Maruts, est fort intéressant. Et le nom de Marut est parfois employé en Inde pour désigner Indra. Selon Xavier Delamarre, Mars viendrait de l’indo-européen *Mawor désignant une divinité. Il est dès lors permis de penser que les Romains ont conservé le véritable nom du dieu indo-européen de l’orage et de la guerre. Cela ne serait pas incohérent car les dieux romains sont très proches de la religion indo-européenne originelle. Neptune viendrait du dieu indo-européen *Nebhtus, Vulcain de *Wlkanos, Venus de l’indo-européen *wen-, « désirer ». Il aurait été surprenant que Mars, le plus romain des dieux, échappe à ce fait.
Les caractéristiques de ce dieu indo-européen sont nombreuses et riches. Cela ne se limite pas à l’aigle, comme pour le dieu céleste. De nombreux animaux étaient consacrés à *Mawor. C’est le cas des animaux liés à l’orage comme le taureau ou le pivert, oiseau dont on croyait que tel la foudre il brisait les arbres, ou bien des animaux symbolisant la virilité comme le bouc, ou des animaux utiles à l’art de la guerre comme le cheval. Mais plus souvent il s’agit d’animaux dont le caractère belliqueux est bien connu. Chez les Grecs, de nombreux animaux étaient liés à Arès, comme le coq, le sanglier, le chien ou le vautour. L’animal de Mars par excellence était le loup, admiré et redouté. Là où était le loup, on retrouvait toujours le corbeau. Le corbeau était lié à de nombreuses divinités, en particulier au dieu de la connaissance ; c’était l’animal d’Apollon et d’Hermès. Mais c’était surtout un compagnon du dieu de la guerre qui hantait les champs de bataille et dévorait les corps des morts. Chez les Germains, outre le bouc, l’ours était un des animaux sacrés du dieu Thor.
J’ai évoqué plus haut le culte iranien du dieu Verethragna, le « briseur de résistance », qui n’est autre que le dieu iranien Indar, dont le nom fut diabolisé par le réformateur Zoroastre. Dans le Yasht XIV de l’Avesta, le dieu Verethragna ou Vahran, strict équivalent du dieu arménien de la guerre Vahagn, apparaît aux fidèles sous la forme de dix avatars, dix comme le nombre d’avatars du dieu indien Vishnu. Sa première incarnation est le Vent, souvent lié au dieu guerrier, comme l’expression « Arès aux pieds légers » chez Homère en témoigne. Il apparaîtra ensuite sous la forme du taureau, animal porteur de foudre par excellence, puis sous celle du cheval, du chameau, animal symbolisant la virilité mais inconnu dans la plupart des pays indo-européens. Il apparaît pour le cinquième avatar sous la forme d’un sanglier, puis sous celle d’un jeune guerrier, sous celle du corbeau, sous celle du bélier et du bouc. Mais la dernière incarnation est celle d’un homme dans la force de l’âge muni d’une épée ; on n’y reconnaît aisément le dieu de la guerre lui-même tel qu’il est représenté chez les Grecs et les Romains.
Le dieu indo-européen de l’orage était également lié à certains arbres, en particulier au chêne, arbre cosmique lié à l’orage, et parfois au frêne, arbre lié à la guerre. Le frêne est l’arbre d’Arès mais cela peut s’expliquer par le fait que Zeus a récupéré la fonction orageuse, et donc la symbolique associée, du dieu de l’orage qu’était l’Arès originel. Taranis, Thor, Perun, Mars et Perkunas sont bien des dieux du chêne.

Deux mythes sont fondamentaux pour bien cerner ce dieu, l’un le faisant apparaître sous son aspect guerrier, l’autre le faisant apparaître sous un rôle davantage paternel et aimant.
Le mythe le plus fondamental est celui du combat entre le dieu de l’orage et le serpent-dragon qui cherche à détruire le monde, soit en l’étranglant de ses anneaux (Jormungandr scandinave) soit en retenant les eaux du ciel (le dragon Vritra en Inde) soit encore en dérobant des bovins placés sous sa protection, comme en témoigne le mythe slave du vol du troupeau de Perun par le serpent Zmeya. Mais plus généralement le dragon s’attaque à l’axe cosmique, montagne ou arbre. Il ronge ainsi les racines de l’arbre Yggdrassil chez les Scandinaves ; il s’agit du dragon Niddhögr, variante de Jormungandr. Pour l’en empêcher, le dieu de l’orage l’assaille en lançant la foudre. Le Zeus grec, qui a repris les mythes consacrés au dieu orageux Arès, lance ses foudres sur le dragon Typhon, de même qu’Apollon terrassera le dragon Python à Delphes. Les dieux d’Europe du Nord préfèrent le marteau ou, variante, la hache. Thor et le Taranis celte sont des dieux marteleurs alors que le slave Perun préfère la hache. Le dieu Indra, vainqueur du dragon Vritra, dispose, lui, d’une sorte de sceptre lanceur de foudre, le vajra, identique au vagra iranien qu’use Mithra pour vaincre ses ennemis.
Ce combat est donc présent dans l’ensemble du monde indo-européen ; c’est Zeus contre Typhon, Thor contre Jormungandr, Taranis contre le dragon anguipède dont le nom était ou bien Tarascos, « la Tarasque » ou bien Togirix, Perun contre le Zmeya, Indra contre Vritra, le hittite Tahrun contre le dragon Illuyankas. Bien entendu, le dieu de l’orage sort triomphant de cet affrontement, sauf chez les Scandinaves où le combat se finit en match nul, mais il y a fort à parier que la main du christianisme est passée par là pour changer son résultat.
Cet exploit du dieu orageux est tellement présent dans la mentalité européenne que le christianisme ne put la supprimer. Saint-Michel ou Saint-George affrontant le dragon ne rappellent pas du tout la victoire du christianisme comme le paganisme assimilé à un serpent, mais le combat entre le dieu indo-européen de l’orage et de la guerre et le dragon ennemi des hommes et des dieux.
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MessageSujet: Re: Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER)   Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER) EmptyLun 18 Sep 2006 - 14:20

Citation :
...Le second mythe le lie à la déesse de l’aurore et de l’amour, autre déité indo-européenne qu’il conviendra d’étudier en détail dans un prochain article. Chez les Grecs, ils existent plusieurs déesses de l’aurore. Comme l’a démontré G. Nagy dans « Le meilleur des Achéens », il existait chez eux trois déesses. L’une représente le phénomène lui-même, c’est la déesse Eôs. Une autre est une aurore guerrière, Athéna. La dernière est une aurore amoureuse, Aphrodite. Le couple Arès – Aphrodite est l’illustration de ce lien. Mais Arès est aussi l’amant de la déesse Eôs. En réalité, Aphrodite n’est qu’un surnom de la déesse aurorale, ce probablement sous une influence chypriote. Cela expliquerait pourquoi Aphrodite est l’une des rares divinités ignorées des documents mycéniens en linéaire B. A l’origine donc, Arès et Eôs formaient un couple. Dans le cas romain, le couple Mars-Venus pourrait apparaître comme dû à une influence grecque, mais ce n’est pas forcément si évident. De même que Mars n’est pas un dieu forestier ou agricole comme certains l’avaient affirmé, Venus n’est pas une déesse des arbres fruitiers mais une déesse du désir amoureux. Cela dit, l’influence étrusque, elle-même hellénisée, du couple Laran – Turan, peut avoir été décisive. Disons qu’il n’est pas improbable qu’il ait existé un couple Mars-Venus avant toute influence grecque. Chez les Baltes, le dieu Perkunas est souvent lié à la déesse aurorale Aushrinè. Chez les Slaves, Zorya, la déesse aurorale, est une guerrière qui accompagne Perun au combat. De même la déesse germanique de l’aurore, Freyja, autre nom d’Ostara, est liée à un dieu guerrier qui, ici, est Odhinn. Chez les Albanais, on constate la même chose avec le couple Perendi – Prenda, ou encore en Arménie avec le couple composé du dieu guerrier Vahagn et de l’aurore Astlig. Cela s’explique aisément. Ces deux déités sont liées à la couleur rouge, celle du sang, liée à la fois à la guerre et à l’amour, couleur de vie et de mort. Elles président à l’espace intermédiaire entre le ciel diurne, blanc, et la terre, noire. C’est le ciel auroral et crépusculaire mais c’est aussi le ciel orageux. Il était alors naturel que ces deux divinités soient plus que liées.
Deux couples divins présidaient au monde. Le premier couple est celui du ciel (Zeus) et de la terre (Déméter), c'est-à-dire de celui du Père, patêr, et de la Mère, mêtêr. Le second couple est celui de l’orage (Arès) et de l’aurore (Aphrodite), qui est aussi l’association entre la guerre et l’amour, et entre l’homme et la femme.

Du dieu guerrier accompagnant les conquérants indo-européens à un Mars père des Romains, la filiation est explicite. C’est à Arès, ou plutôt au dieu macédonien Aras, qu’Alexandre lia ses succès. Jules César se considérait également comme un descendant de Mars, dieu auquel il voulut consacrer le plus grand temple de l’histoire. Napoléon tint à rappeler ceci : « n’oubliez pas que j’ai le dieu de la fortune et le dieu de la guerre à mes côtés ». Et au milieu du XXème siècle, un autre individu s’identifia au loup, l’animal par excellence du dieu de la guerre.
Il ne fait aucun doute que le XXIème siècle sera le siècle du retour du dieu de la guerre et de ses valeurs en Europe.

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MessageSujet: Re: Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER)   Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER) EmptyLun 18 Sep 2006 - 14:21

Citation :
La Terre Mère des Indo-européens.

De nombreux historiens des religions ont, depuis le XIXème siècle, théorisé une opposition entre des dieux ouraniens indo-européens et des déesses chtoniennes méditerranéennes. Marija Gimbutas en fit le fondement de ses travaux. Certaines constatations véridiques sont effectivement à la source, comme l’importance des déesses mères en Crète ou le rôle prépondérant des déesses dans la religion basque. Mais pour prendre l’exemple basque, le ciel et l’orage concernent des divinités masculines, et le dieu crétois du ciel, le fameux dieu taureau, n’est pas négligeable non plus. Il est bien évident de la même façon que les Indo-européens ont eu, à côté du dieu du ciel, une déesse de la terre, ce que prouvent les différentes mythologies indo-européennes. Cette théorie fausse doit donc être abandonnée.

Les Indo-européens appelaient la terre de différents noms, qui sont tous à la base de grandes divinités. La terre est d’abord appelée *dheghom, nom à la base de la plupart des déesses indo-européennes de la terre, auxquelles on accole bien souvent le terme de *mater, « la mère ». Mais elle est également appelée *peltawi, *era/*ert- ou encore *telos, ce dernier terme ayant davantage le sens de « surface plate ».
Au premier terme, nous devons les noms de la celte Dana, de la slave Mat’ Syra Zemlija, de la lituanienne Zemyna, de la lettone Zemes Mate, de l’albanaise Dhë Ana, de l’iranienne Zamyat, de la phrygienne Sémélé et surtout de la déesse grecque la terre, appelée Gaia ou Dêo Matêr (Déméter). *Peltawi a abouti à la déesse indienne Prithivi, *Era à la déesse germanique Erda, appelée Jord en Scandinavie, et à l’arménienne Aretia, enfin *Telos à la déesse romaine Tellus Mater. Comme on le constate, aucun des peuples indo-européens n’a ignoré l’existence de cette Terre Mère dont le rôle est fondamental au même titre que celui du dieu céleste. Face à un *Dyeus *Pater, maître incontesté du ciel, lui répond une *Dheghom *Mater, souveraine de la terre.

Le couple ciel-terre

La déesse de la terre est associée à de nombreuses divinités masculines. Chez les Grecs, Déméter est tantôt épouse du dieu des eaux et des mers, Poséidon, tantôt épouse du dieu du ciel Zeus. Il est également possible que Héra soit également une variante de Déméter, si on rattache son nom à la racine *era. Mais même si l’on retient l’étymologie proposée par Jean Haudry de *yera, « la belle saison », on peut la considérer comme un des aspects de Déméter en tant que reine des saisons. Il ne fait dès lors aucun doute que Zeus et Déméter forment un couple mythique, identique aux couples mythiques des générations divines précédentes, Ouranos et Gaia, puis Cronos et Rhéa. L’Inde également fonde sa religion sur ce couple, illustré par Dyaus Pitar, « le ciel-père » et Prithivi Matar, « la terre-mère ». Le scandinave Odhinn, qui a remplacé dans la plupart de ses fonctions célestes le dieu Tyr, est également l’époux de la terre, Jord, de qui il a eu son fils Thorr, maître de l’orage. En Iran, il existait également un couple formé d’Asman, personnification du ciel, et de Zamyat, la terre. Chez les autres peuples indo-européens en revanche, ce couple semble moins évident. Parfois une divinité appelée « l’époux de la terre » remplace le dieu du ciel, comme le letton Zemespatis pour la déesse Zemes Mate, ou comme le latin Tellumo pour la déesse Tellus. On ne retrouve aucun couple Lug-Dana chez les Celtes par exemple.
Mais le cas indien védique me semble par sa simplicité résoudre tous nos doutes. Les Indo-européens avaient un couple ciel-terre comme fondement de leur spiritualité. Ce couple était à l’origine du grand dieu de l’orage évoqué dans le précédent numéro de la revue. On retrouve bien la trifonctionnalité indo-européenne classique, avec une première fonction assumée par le dieu du ciel, une seconde par le dieu de l’orage, enfin la troisième par la déesse de la terre, parfois aidée de deux jumeaux divins.

La déesse du blé

La déesse de la terre, symbole même de la fécondité et de la fertilité, ne pouvait négliger ses fonctions nourricières. Elle était donc la déesse de l’agriculture par excellence, laissant la chasse comme domaine à l’une de ses filles, dont l’Artémis grecque est l’image la plus parlante. Et plus encore, elle incarnait la déesse du blé. L’agriculture fut découverte par les ancêtres des Sumériens il y a plus de 9.000 ans en Mésopotamie, don peut-être de leur déesse Ki. Mais les Grecs considéraient de leur côté que la déesse Déméter avait offert le secret du blé aux hommes dans une cité grecque, Eleusis, où elle recevait un culte. Le mythe raconte qu’en raison du rapt de sa fille Perséphone par le maître des enfers, Hadès, Déméter en raison de son chagrin avait laissé la terre sombrer dans un hiver sans fin. Mais un couple d’Eleusis avait su amoindrir la peine de la déesse et celle-ci, reconnaissante, leur avait livré le secret du blé grâce auquel les hommes ne pourraient plus jamais mourir de faim. Chez les grecs mycéniens, Déméter était appelée Sito Potnia, « maîtresse du blé ». La romaine Tellus était elle aussi honorée pour les mêmes dons, d’où son surnom de Cérès, maîtresse des céréales.
Si les dieux étaient blonds par l’association à la couleur de l’astre diurne, la déesse de la terre était blonde comme la couleur des blés. Généreuse et maternelle par excellence, elle était souvent représentée assise, tenant un enfant dans ses bras et un brin de blé dans l’une de ses mains.

Une mère aux multiples fonctions

La déesse de la terre est donc la mère par excellence. Elle était appelée « mère des dieux et des hommes » et disposait de nombreuses fonctions. Elle présidait en premier lieu aux accouchements et était ainsi surnommée Ilythie par les Grecs, nom signifiant peut-être « la libératrice ». Tellus ou Junon étaient appelées Lucina, « celle de la lumière » et avaient même fonction.
Mais elle était aussi déesse de la vengeance, punissant ainsi les matricides, sous le nom d’Erinys. Déméter Erinys avait été violée par le dieu Poséidon sous la forme d’un cheval ; cette épithète l’associait donc à un crime dont elle avait été victime. Oreste, lorsque pour venger l’assassinat de son père Agamemnon, mit fin aux jours de sa mère, Clytemnestre, il subit le courroux de la déesse par l’intermédiaire de trois déléguées Erinyes. Et ne dut son pardon qu’au tribunal athénien de l’Aréopage, où le dieu Arès lui-même avait été jugé et innocenté pour meurtre, et ce grâce à Athéna, une déesse. Par extension, la déesse de la terre était aussi la déesse de la justice. Tellus était appelée Legifera, « porteuse de loi » chez les Romains et Déméter portait également le nom de Thémis, « la Justice ».
De manière plus générale, la déesse de la terre présidait au cycle des saisons. Elle était Mère Nature et la reine de l’hiver. Sous le nom de Chloé, Déméter était la déesse des fleurs et du printemps. Son rôle pour les hommes était donc fondamental car, selon l’humeur de la déesse, ils pouvaient connaître la famine ou l’opulence. Il n’est dès lors pas étonnant que chez les Grecs, Ploutos, « la richesse », soit fils de Déméter. La déesse avait également la particularité d’être aussi bien généreuse que cruelle, selon les circonstances. Déesse de la vie, elle ne pouvait pas être absente de la mort. Sous le nom d’Hel chez les Germains, elle gouvernait les Enfers.
Le culte de Déméter à Eleusis offrait ainsi la possibilité aux Athéniens d’aller en Elysion en se consacrant à elle et en respectant un certain nombre de rites. De nombreux empereurs romains furent initiés afin d’en bénéficier, comme ce fut le cas de l’empereur Julien par exemple.

Chez les différents peuples indo-européens

Chez les Celtes, la déesse Dana jouissait d’une image très positive puisque les dieux étaient appelés Tuatha De Danaan, c'est-à-dire « ceux de la tribu de la déesse Dana ». Elle était appelée Dôn chez les Gallois et était là mère d’Amaethon, dieu de l’agriculture ; mais elle apparaissait aussi comme une déesse infernale.
Chez les Germains, la déesse Jord, possédait de nombreuses épithètes désignant ses fonctions telluriques, comme Grund, « sol ». Mais à l’époque viking, son rôle s’était amoindri au profit de la déesse Frigg, épouse officielle d’Odhinn. En tant que mère de Thorr cependant, elle conservait une image favorable et il n’est pas étonnant que l’épouse de Thorr, Sif, soit déesse du blé
Les Slaves avaient fait de Mat’ Syra Zemlija une déesse de première importance ; elle était l’épouse du dieu du printemps Jarilo Elle était fêtée le premier mai. Son nom signifiait « terre-mère humide » car elle avait aussi le rôle de déesse des eaux. Mais l’épithète de Syra la rapprochait également d’une déesse iranienne de première importance, Anahita, appelée aussi Sura. Anahita était à la fois déesse des eaux et en même temps déesse de la terre sous le nom de Zamyat. Avec Mithra et le grand dieu Ahura Mazda, elle formait une triade.
La Zemyna balte présidait aux forces de la nature mais était également déesse des morts sous le nom de Perkunele. Elle était la fille du dieu lunaire Menulis et de la déesse solaire Saulè. Elle était déesse de la végétation, des fleurs, des naissances et du mariage. Le 15 août, lors de la fête de Gelines qui lui était consacrée, elle recevait en hommage des fleurs, des céréales et des herbes.
La déesse Prithivi était la mère du dieu Indra, ancien roi des dieux avant que Vishnu ne lui prenne sa place. Elle était représentée sous les traits d’une vache, d’où en vérité le caractère sacré de cet animal en Inde. Elle recevait en offrande des céréales et du lait.
En Perse, la déesse Zamyat était surnommée Amurdad, « l’immortelle ». Sous le nom d’Ahurani, « celle d’Ahura », elle était vraisemblablement l’épouse du grand dieu Ahura Mazda.
Chez les Romains, la déesse de la terre portait de nombreux noms, parmi lesquels Tellus Mater, Terra Mater et Cérès. Elle était honorée le 25 janvier lors des Sementivae pour la remercier de son rôle agricole. Le 15 avril de chaque année elle recevait des vaches en sacrifice.

L’évolution ultime de la déesse

La déesse de la terre, dont la vache était l’animal sacré et le brin de blé son symbole, fut confrontée à la fin de l’empire romain au plus grand péril. Face à elle, une religion orientale et misogyne fit son apparition, le christianisme. Pour ce dernier, la femme n’est plus qu’une côte de l’homme. De la même façon que la femme est diabolisée, la terre l’est en même temps. L’esprit écologique naturel des Indo-européens cède le pas à une morale du rendement. Dieu, c'est-à-dire Yahweh, a donné la terre aux hommes pour qu’ils l’exploitent. Cet anthropocentrisme inconnu du monde païen brisa le lien sacré entre les hommes et la nature. Plus de bois sacrés, plus de forêts remplies de lutins et de sylphides, plus de naïades dans les fleuves. Un regard unique porté sur le monde les a remplacés. Puis vint l’heure de l’industrialisation à outrances, l’heure de la déforestation, des pluies acides, des marées noires.
Mais la déesse n’a pas disparu face à tout cela. Malgré le rejet du culte des déesses dont l’Eglise fit toujours preuve, le christianisme lui-même fut obligé de reconnaître la force de la déesse. La déesse celte Dana devint Sainte Anne, mère de la Vierge Marie. Marie elle-même, dont le nom ressemblait fortuitement à celui de Mater, « la mère », prit aussi cette fonction de Terre Mère nourricière. A Eleusis même, une Sainte Démétra fit son apparition et se substitua naturellement à la grande Déméter.
La république française prit Cérès comme symbole, sur les timbres comme sur sa monnaie. De 1849 à 1946, de nombreux timbres l’illustrèrent ainsi, sous forme laurée ou sous celle de la fameuse Semeuse, remplacée par la suite par Marianne.
Mais en ce début de XXIème siècle, ce qui est le plus frappant c’est le retour brutal de la Déesse, sous le nom grec de Gaia, ou dans toutes ses variantes. La Terre Mère ne tolérera pas indéfiniment que l’homme la souille et il faut la craindre plus encore que la foudre de Zeus lui-même. Parce que ce lien sacré entre les hommes et Gaia fut brisé par le christianisme, ou par l’islam d’ailleurs, le monde est devenu laid. Il appartiendra aux fidèles des dieux de lui rendre sa beauté.

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MessageSujet: Re: Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER)   Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER) EmptyLun 18 Sep 2006 - 14:22

Citation :
Le dieu du soleil des Indo-européens.

La figure lumineuse du dieu solaire a représenté pour les premiers spécialistes des Indo-européens comme Max Müller la quintessence même de leur religiosité. Peut-être ont-ils été marqués par l’omniprésence du dieu du soleil aussi bien dans la civilisation iranienne que dans la civilisation romaine finissante. Après avoir étudié les figures du dieu du ciel et de celui de l’orage, nous étudions maintenant celle de la troisième grande figure divine masculine des peuples indo-européens, celle de l’astre qui a permis la vie sur terre et qui de sa bienveillante chaleur nous tient en vie.

Le Soleil indo-européen.

Pour Xavier Delamarre , le nom du soleil vient de l’indo-européen *sawel, avec la forme génitive *swen-. Pour Jean Haudry , la forme originelle serait *suHel-, à côté d’une forme poétique que l’on retrouverait dans le sanskrit ravi. Sont formés à partir de la première forme le nom du dieu grec Hêlios, du dieu latin Sol, du dieu indien Sûrya ou encore de la déesse germanique Sól et de la déesse lituanienne Saulè. Il semble également qu’on la retrouve chez le dieu gaulois Sauelios. Une forme dérivée du nom du dieu semble avoir donné le nom du ciel en sanskrit, svarga, et également celui du dieu iranien du soleil Hvare comme du dieu slave du ciel, Svarog, ou du dieu slave du soleil Khors, probablement d’origine iranienne aussi. En revanche, la forme *sawel ou *suHel a disparu chez la plupart des Celtes et chez les Slaves son nom, solntse, ne désigne pas une divinité mais juste l’astre lui-même. Dans le cas albanais, le dieu du soleil, et le nom même de l’astre, est Dielli ; il semble en rapport avec le nom du jour, issu du dieu du ciel diurne, *dyeus.
Plus intéressante est la question du sexe attribuée à la divinité solaire. L’humanisme classique a tendance à lui donner un sexe masculin puisque le monde gréco-romain ne voyait le soleil que comme tel et les indo-européanistes du XIXème siècle allèrent dans le même sens puisque le monde indo-iranien qu’ils découvrirent ne faisait pas différemment. Or, chez un certain nombre de peuples indo-européens du nord de l’Europe, le sexe du soleil est féminin. C’est le cas chez les peuples germaniques et chez les peuples baltes, et peut-être, mais de manière beaucoup plus discutable, chez les peuples celtes. Il n’y a pas de réponse véritable à cette question mais il semble cependant que la forme masculine ait précédé la forme féminine et ce pour deux raisons. En premier lieu, d’autres divinités solaires, masculines, existent chez les Germains, et en second lieu il n’y a que chez deux peuples indo-européens que l’on constate cette inversion. Dans le cas balte, les sexes des divinités astrales semblent inversées. L’aurore est masculine avec le dieu Usins et féminine avec la déesse Ausrinè ; la lune est un dieu, Menulis, et le soleil est donc une déesse, Saulè. Il s’agit donc probablement d’une anomalie mythologique localisée. La divinité solaire indo-européenne paraît donc indiscutablement mâle.

Les mythes originaux du dieu du soleil

Le dieu *sawel est en premier lieu fils du dieu du ciel, *dyeus, et on retrouve ce fait dans l’ensemble des mythologies indo-européennes. En effet Apollon, autre Hêlios, est fils de Zeus, comme Surya est fils de Dyaus. Dans le cas germanique, le dieu solaire Balder est fils d’Odin, qui a récupéré les fonctions célestes du vieux Tyr. Dans le cas slave aussi, Dazbog, dieu solaire, est fils du dieu céleste Svarog. Et chez les Baltes, la déesse Saulè est fille du dieu céleste Dievas. On voit donc bien dans le dieu du soleil un héritier potentiel du dieu du ciel, au même titre que son frère le dieu de l’orage.
On connaît rarement d’épouses au dieu du soleil. Les Grecs attribuent à Hêlios la nymphe Persè, dont le mythe est inexistant. On ne connaît en revanche aucune épouse à Apollon. En revanche Belenos et Balder semblent avoir des épouses, là encore d’une fadeur extrême. Il semble cependant que l’épouse naturelle du dieu du soleil soit tout simplement la déesse de la lune. Sol et Luna sont associées dans le panthéon romain, de la même façon que Menulis, dieu de la lune, est l’époux de Saulè dans la religion lituanienne. Et l’association Apollon-Artémis, bien que sous la forme d’un tandem frère-sœur et non d’un couple, est également une illustration de ce fait. En Inde, où soleil et lune (le dieu Shandra) sont tous deux masculins, Surya est associé à la déesse de l’aurore, Ushas, et est en constante rivalité avec le dieu de l’orage Indra. Ce qui du point de vue atmosphérique semble assez logique en vérité.
Les mythes semblent faire également du soleil un dieu omniscient associé aux fonctions de justice. Il s’agit peut-être d’une influence mésopotamienne, le dieu sumérien du soleil Utu ayant exactement ces fonctions. C’est ainsi le cas d’Apollon dans la tradition grecque. Dieu juste, il est également qualifié de bon et de généreux. Le dieu solaire slave Dazbog est ainsi « le dieu qui donne ». Cela aboutit parfois à faire du soleil un dieu salvateur et on le verra, cette fonction aura une grande importance par la suite.

Un dieu mineur dans beaucoup de panthéons.

A rebours d’une vision solaire de la religion indo-européenne, les différents peuples indo-européens semblent n’accorder qu’une importance très limitée à la divinité du soleil. Le dieu Hêlios est ainsi d’un rôle extrêmement effacé dans le panthéon grec, comme le sont d’ailleurs les divinités astrales en général, Sélênê, déesse de la lune, ou Eôs déesse de l’aurore. Chez les Romains, le dieu Sol, qualifiée d’Indiges, « indigène », est encore plus marginal bien qu’il bénéficie toutefois de deux temples, l’un au Cirque Maxime et l’autre au Quirinal. L’iranien Hvare, la germanique Sól ou le celte Sauelios, ont un rôle encore plus restreint. Il n’y a que dans le cas albanais avec le dieu Dielli, dans le cas indien avec Surya et dans le cas balte avec Saulè, que cette divinité est davantage présente mais là encore certainement pas au premier plan. Dans les Veda, Surya bénéficie de bien moins d’hymnes qu’Indra ou Agni . En somme, une présence fort marginale ne peut qu’être constatée.

Le dieu de la lumière.

En fait, le dieu du soleil a été victime de la concurrence d’autres divinités qui se sont parées de la fonction solaire, au point où son dieu naturel s’est vu priver de tout rôle majeur. Le cas grec d’Hêlios est symptomatique. Dans les textes grecs, Hêlios voit de son char céleste tout ce qui se passe sur terre et même sur l’Olympe ; c’est ainsi qu’il dénoncera l’adultère d’Aphrodite à son époux Hêphaistos ; mais c’est bien sa seule attribution. En fait le vrai dieu solaire est Apollon, « celui à la pomme », et il n’est pas rare que les deux divinités, Hêlios et Apollon, soient confondues. En somme, ce dieu nouveau, dont la fonction principale est lumineuse, se substitue complètement à Hêlios, de la même façon qu’Artémis remplace Sélênê, qu’Aphrodite remplace Eôs et qu’en vérité Héraclès remplace Arês dans ses fonctions héroïques. Ce fait grec passe très vite aux Romains puisqu’ Apollon est le premier dieu grec hébergé par les Romains, et ce dès le Vème siècle. Ce fait gréco-romain ne s’y cantonne pas.
Chez les Celtes, c’est Belenos qui est devenu le véritable dieu du soleil bien qu’il porte en Gaule bien d’autres noms, comme Grannos ou Abellio, ce dernier rappelant fortement Apollon. De la même façon, les Germains ont Balder comme dieu du soleil. Et les Slaves possèdent en Dazbog un dieu fort comparable également, à côté d’un dieu Khors bien faible également. Dans le cas du monde indo-iranien, une divinité solaire également se détache du lot ; il s’agit du Mitra indien et plus encore du Mithra iranien. Ce dieu multiforme qui associe les fonctions de dieu guerrier - il possède le vagra, attribut en Inde du dieu Indra – et de dieu solaire, est une figure de grande importance dans la religion zoroastrienne. En somme, si le dieu solaire proprement dit est marginal, le dieu de la lumière et désormais du soleil a en revanche une place considérable dans le panthéon.

Le dieu suprême des derniers Romains

L’évolution ultime du dieu du soleil apparaît lorsque l’empire romain est en crise. Apparu en 80 avant J-C en Italie, le mithraïsme, issu d’une hellénisation du culte iranien de Mithra, prend une coloration solaire considérable au point où Mithra se substitue au soleil et se confond avec Apollon. A cela s’ajoute alors une influence orientale, celle d’un dieu sémitique du nom de Baal Shamin qui fut traduit par les Romains sous la forme de Sol Invictus, « le soleil invincible ». Toutes ces influences et ces religions orientales aboutissent à un nouveau dieu romain qui fusionne le Sol Invictus oriental, le Mithra iranien et désormais romain, l’Apollon grec et le vieux dieu romain Sol Indiges. Sous le nom général de Sol, « le soleil », il prend désormais le premier plan au sein de la religion impériale, à une place plus élevée encore que Jupiter ou Mars. Les païens qui se reconnaissent dans une certaine forme de monothéisme, et sans doute par réaction aux Chrétiens, y voient désormais le seul dieu, ce qui paradoxalement favorisera un christianisme qui ose décrire Jésus Christ comme le Sol Iustitiae, le « soleil de justice ».

Le soleil invaincu

Cette solarisation du Christ n’est pas propre aux Romains. Les textes scandinaves font du Christ une version nouvelle du dieu Balder, dieu du soleil et de la justice et dieu également qui meurt et renaît ; et la conception germanique de la résurrection de Balder après la mort des dieux est également frappante. C’est ainsi que le dieu Balder servit de tremplin à la christianisation du monde nordique. Jésus Christ se substitua dès lors au dieu du soleil, de la même façon que son père, Yahweh, se substitua au père du soleil, Zeus.
Cependant le Soleil invincible n’a pas été réellement vaincu par le christianisme et sa figure reste attachée aux plus grands noms de l’histoire de l’Europe. Frédéric II Hohenstaufen a vu en lui son dieu personnel, comme jadis cela avait été le cas du dernier empereur païen, Julien, qui avait honoré Sol d’un « Discours sur le Soleil-Roi ». Le grand roi de France, Louis XIV, ne se disait « Roi-Soleil » et n’honorait pas Apollon en vain non plus, car il se rattachait à la conception solaire et impériale de Rome. Mais quelques millénaires plus tôt, le pharaon Akhenaton n’avait-il pas fait d’Aton, l’astre solaire, le dieu unique de son panthéon.
Le dieu du soleil, en ce début de nouveau millénaire, nous a offert son plus beau don, l’énergie nucléaire, et lorsqu’il nous livrera son dernier secret, le secret de la fusion, on pourra affirmer que le dieu du soleil est loué pour sa générosité non sans raison. « Apollon reviendra et cette fois ce sera pour toujours », nous proclama la Pythie. Mais était-il réellement parti ?


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MessageSujet: Re: Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER)   Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER) EmptyLun 18 Sep 2006 - 14:22

Citation :
La déesse de l’aurore et de l’amour des Indo-européens.

Après avoir étudié le cas de la déesse-mère des Indo-européens dans le numéro précédent, il convient de s’attacher à leur deuxième grande déesse, celle de l’aurore.
Cette déesse porte le nom originel d’*ausos. Elle est liée bien sûr au matin ; elle est probablement la mère de deux dieux jumeaux, l’un de l’étoile du matin, l’autre de l’étoile du soir (le Lucifer dieu du matin, le Phosphoros grec, issu peut-être d’un *Leuksbher indo-européen, et le Vesper, dieu du soir). *Ausos est également liée à la planète Venus, ce qui n’est pas étonnant quand on sait que Venus/Aphrodite est l’héritière de l’aurore indo-européenne. Elle est liée à la couleur rouge, celle du phénomène auroral/crépusculaire, couleur qui est celle du sang et qui exprime à la fois la guerre, le rouge est aussi la couleur du dieu guerrier, et l’amour. *Ausos, en tant que déesse de l’espace intermédiaire entre le ciel bleu et la terre, est reliée à la deuxième fonction indo-européenne, la fonction guerrière, et était probablement l’épouse du dieu de l’orage et de la guerre. Elle se retrouve dans l’ensemble du monde indo-européen, dans la plupart des cas en conformité avec son nom indo-européen originel, ainsi sous la forme de l’Eôs grecque, de l’Aurora latine, de l’Ushas indienne, de l’Ushah iranienne, de l’Ausrinè lituanienne, de l’Astlik arménienne et probablement de l’Ostara germanique. Chez d’autres peuples indo-européens en revanche, ce nom s’est perdu. Les Slaves honorent ainsi Zorya et les Celtes préfèrent parler d’elle de manière détournée en l’appelant Epona, « déesse du cheval ».
Le cas grec est de loin le plus intéressant car si la déesse Eôs ne joue qu’un rôle fort effacé, c’est parce qu’elle est remplacée par deux nouvelles divinités, probablement des évolutions d’anciennes épiclèses de la déesse. Ainsi, il ne faut pas voir en Athéna, « la très haute », et en Aphrodite, « née de l’écume de la mer », autre chose que deux aspects d’Eôs. La première est l’Aurore guerrière et en même temps déesse de la sagesse. La seconde est l’Aurore amoureuse, mais qui n’est parfois pas si éloignée que cela du combat, comme la Zorya slave.

Déesse de l’aurore.

Avant tout, la déesse a pour mission d’éveiller son frère le dieu du soleil, *sawel, afin que celui-ci chasse sa sœur, la déesse de la nuit, *nokts. Cette fonction se retrouve chez la plupart des peuples indo-européens. La déesse solaire balte Saulè a ainsi à son service deux dieux jumeaux, Usins et Martins. Or il est frappant que ce dieu Usins ne soit autre que l’Aurore sous une forme inhabituellement masculine.
L’Eôs grecque n’est plus que cela. Bien qu’associée à deux mythes, l’un la présentant comme maîtresse d’Arès et subissant le courroux d’une Aphrodite jalouse, nous y reviendrons, l’autre comme une éternelle amoureuse mais incapable d’assurer l’immortalité à ses amants mortels, elle n’apparaît aucunement dans le culte. Homère l’appelle Eôs aux doigts de rose, vision toute poétique pour une déesse absente de tout rôle dans l’Iliade. L’Aurora romaine, appelée aussi Mater Matuta, « la mère des matins », n’est pas moins inexistante, ce qui d’ailleurs est le cas des autres dieux des phénomènes cosmiques comme Sol et Luna.
Les peuples celtes accordaient à leur déesse de l’aurore, liée au cheval, une grande place mais sans son nom originel. Elle fut donc appelée Epona, « déesse des chevaux » et de toutes les déesses celtes, elle conserva la prépondérance. Brigantia, la Brighid irlandaise, semble également avoir été à l’origine une déesse celte aurorale, mais dans le rôle équivalent de Minerve et d’Athéna. Elle fut christianisée en Sainte Brigitte, patronne de l’Angleterre.
Les Germains semblent également avoir possédé une déesse aurorale du nom d’Eostre ou Ostara, liée essentiellement à la fête païenne de Pâques, fête appelée Ostern en allemand et Easter en anglais. Ostara est liée aux œufs et aux lapins, tous symboles de fécondité. Elle était honorée aux alentours de l’équinoxe de printemps, au mois d’avril, mois attribué chez les Romains à Venus. Mais à l’exception de ce fait, elle est totalement absente des récits mythologiques, au point où certains ont même nié son existence.
En terre slave, la déesse de l’aurore, Zorya, se résume essentiellement à un rôle guerrier ; elle est représentée avec une épée et ressemble à une walkyrie. Elle accompagne également le dieu orageux Perun dans ses combats.
En revanche, en Inde, la déesse Ushas s’oppose au combat à ce même dieu de l’orage, qui est Indra. Quant à l’iranienne Ushah, son rôle religieux est totalement négligeable.
Ce n’est finalement qu’en terre balte, et l’on sait que les Baltes en matière de religion sont restés souvent assez proches de la religion indo-européenne, que l’aurore jouit d’un haut culte. Il s’agit de la déesse Ausrinè chez les Lituaniens, une déesse qui associe aurore, amour et fertilité ; elle se nomme Auseklis en Lettonie. Avec Zemyna, déesse de la terre, et Saulè déesse du soleil, elle est la troisième grande déesse balte. Enfin, chez les Arméniens, la déesse Astlik est également à la fois déesse de l’aurore et déesse de l’amour. Elle est l’épouse du dieu arménien de la guerre, Vahagn, strict équivalent du dieu iranien Verethragna.
Le cas albanais est beaucoup plus intéressant car fort simple. Le couple divin le plus honoré des Albanais païens est composé en effet du dieu de l’orage et de la guerre, Perendi, et de son épouse la déesse de l’amour, et sans doute aussi de l’aurore, qui est Prenna ou Prenda, devenue pour les Albanais chrétiens Sainte Prenda, alors que son époux fut l’un des noms donnés au dieu chrétien à côté de celui d’En, dieu païen du ciel devenu nom courant de « Dieu ».

Déesse de l’amour

Le cas d’Ausrinè, à la fois déesse de l’aurore et de l’amour, illustre parfaitement l’association des deux fonctions. L’aurore est liée à la couleur rouge, couleur du sang, qui symbolise aussi bien la guerre que l’amour. Elle était originellement associée à la pomme, la déesse de l’éternelle jeunesse des Scandinaves, Idhunn, n’est sans doute qu’un de ses aspects, et aussi à la rose, comme l’épiclèse homérique « aux doigts de rose » le confirme. La rose est associée à l’amour pour sa ressemblance, poétique, avec le sexe féminin, et les amants romains déclaraient leur flamme en s’offrant des pommes rouges. Les Indo-européens associèrent dès l’origine les deux fonctions, naturelle d’une part, l’Aurore, humaine d’autre part, l’Amour. On retrouve ce même fait avec un dieu évoqué précédemment, qui possède une fonction également naturelle, l’Orage, et une fonction humaine associée, la Guerre. Il n’est dès lors pas étonnant que les deux divinités aient souvent été associées.
Mais bien souvent, la déesse de l’aurore s’est vue dérober cette fonction par une autre déesse relevant spécifiquement du désir amoureux. L’Aurore grecque née de l’écume des mers devient Aphrodite, une déesse désormais indépendante, et dont la fonction essentielle est l’amour, même si la dimension aurorale n’est pas non plus absente. En ce sens, Aphrodite est devenue la déesse aurorale et amoureuse des Grecs, occultant totalement Eôs. On voit d’ailleurs que les deux déesses sont redondantes puisqu’elles sont toutes deux maîtresses du dieu guerrier Arès. En somme la vraie Eôs est Aphrodite. Le rôle attribué à Aphrodite dans le monde grec est considérable car elle représente l’harmonie que symbolise l’amour, à savoir l’union des contraires, le ciel et la terre, l’homme et la femme. Sa naissance est controversée. Soit l’on en fait une déesse née de la castration par Cronos de son père Ouranos, au quel cas elle serait plus vieille que Zeus lui-même, soit on la présente comme fille de Zeus et de son épouse nominale, Dionè, « celle de Zeus ».
Il faut probablement renoncer à l’hypothèse selon laquelle Aphrodite découlerait directement d’une déesse phénicienne de l’amour, Ashtoreth. On peut en revanche penser que les deux déesses, à Chypre, furent confondues. Ce fut le cas par la suite puisque la légende d’Aphrodite et du beau Adonis, dérive partiellement d’une source sémitique, babylonienne précisément, et comptant les amours de la déesse Ishtar, nom babylonien de la phénicienne Ashtoreth, et du berger Tammouz.
Aphrodite semble également liée aux îles grecques, d’où ses surnoms de Cypris ou de Cythérée.
Aphrodite est liée à de nombreux dieux grecs, dont elle est considérée comme l’épouse ou la maîtresse. Homère en fait dans l’Odyssée l’épouse d’Héphaistos, dieu boiteux du feu, qu’elle trompe allègrement avec Arès. Mais la tradition grecque en fait plutôt l’épouse d’Arès.
On retrouve chez un certain nombre d’Indo-européens donc une déesse du désir amoureux. C’est explicitement le sens à donner au nom de la romaine Venus, de l’indo-européen *wen-, « désirer », et probablement aussi à la déesse irlandaise de l’amour, Aine, de même racine. Les historiens qui voient encore en Venus une déesse des vergers devraient revoir leur copie. A côté de l’aurore amoureuse, Minerve représente l’aurore guerrière mais aussi les techniques et la sagesse, comme l’Athéna grecque.
Mais chez plusieurs peuples, il s’agit d’une même déesse, que l’on retrouve sous les traits de la Lada slave, de la Rati indienne, de la Rata iranienne, cette dernière passant sous l’influence zoroastrienne du statut de déesse de l’amour à celui de déesse de la charité, c'est-à-dire de l’amour physique à l’amour moralisé, et aussi de la Léda grecque, remontant à une racine indo-européenne signifiant aussi « désir ». Enfin, il faut signaler la marginale déesse de l’amour Milda chez les Baltes, négligeable tant est grand le rôle d’Ausrinè.
Le cas de Léda mérite qu’on s’y attarde. Elle est l’une des maîtresses de Zeus que celui-ci a connu sous la forme d’un cygne blanc, et est la mère d’une part des jumeaux divins que sont Castor et Polydeucès, et d’autre part d’Hélène de Troie, protégée d’Aphrodite. Cela n’est pas étonnant de voir la déesse de l’amour en compagnie du dieu céleste. La Lada slave est ainsi l’épouse du dieu céleste Svarog, et Frigg, qui apparaît comme déesse de l’amour au même titre que la vane Freyja, est celle d’Odhinn, qui a récupéré les fonctions célestes du dieu Tyr.
Quant à Freyja, déesse de l’amour proprement dit, son nom est issu de l’indo-européen *priyota, « chérie » et son culte est sans commune mesure avec celui, très pâle, d’Ostara.
Dès lors, on ne peut que constater la séparation progressive de ces deux fonctions, ce qui ne doit pas étonner si on se souvient du cas du dieu de l’orage et de la guerre qui vit se développer à ses côtés un dieu purement guerrier.

Déesse de la sagesse.

A côté de l’aurore et de l’amour, une autre fonction est également présente, celle de déesse de la sagesse. C’est le cas de la déesse Athéna, variante de la déesse proprement de la sagesse, Mêtis, dont elle est mythiquement la fille et dont Jean Haudry a reconnu l’origine aurorale au même titre qu’Aphrodite, mais également celui de son homologue Minerve. Sous cette forme, la déesse de l’aurore est liée au tissage et à l’intelligence pratique des femmes, à l’opposé d’une sagesse théorique qui relève davantage d’Hermès/Mercure par exemple.

La déesse de l’amour dans l’empire romain.

Le couple romain Mars-Venus n’est pas forcément la transposition directe du couple Arès-Aphrodite et peut très bien avoir été une similitude. Ce qui est frappant en revanche c’est que le mythe grec d’Aphrodite mère d’Enée a pris une place considérable. En effet, les Romains rattachaient à leur origine d’une part à Romulus, fils de Mars, mais aussi à Enée, qui avait quitté Troie pour s’installer dans le Latium. Jules César se flattait d’être descendant de la lignée d’Iule, autre nom d’Ascagne, fils d’Enée et de Lavinia, et donc d’être le descendant de la déesse elle-même. Mais la Venus guerrière n’est pas une invention césarienne. En effet le grand Pompée honorait particulièrement Venus Victrix (« victorieuse ») alors que César insistait davantage sur l’aspect maternel de Venus Genetrix (« génitrice »). Dans l’empire romain, beaucoup d’impératrices honoraient fortement Venus mais toujours avec une dimension guerrière prépondérante. Comme si la Venus romaine, à l’issue d’une évolution millénaire, était redevenue la déesse indo-européenne de l’aurore, amoureuse et guerrière, unie au combat comme au lit avec son époux Mars.
La suite fut beaucoup moins valorisante puisque si les déesses mères et/ou vierges purent se grimer derrière la figure de la Vierge Marie , Venus ne pouvait qu’échapper à cette récupération car elle symbolisait la courtisane de l’Olympe, aux nombreux amants. Sa figure prit donc, aux yeux des Chrétiens, une dimension plus démoniaque. Avec Diane, Venus est l’une des déesses des sorcières. Mais, personnification de la beauté et mère d’Enée, elle garda à côté de cela une image plus lumineuse chez les artistes, image qui resurgit violemment sous la Renaissance, et qu’immortalisa avec génie Botticelli dans son tableau célèbre « Naissance de Venus ». Venus nous enseigne que la femme triomphe, non en se faisant l’égal de l’homme, mais en jouant de sa féminité ; belle leçon donnée aux féministes, leçon qui ne doit pas être oubliée.

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MessageSujet: Re: Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER)   Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER) EmptyLun 18 Sep 2006 - 14:23

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Le dieu du feu et de la forge des Indo-européens.

Parmi les différents fils du dieu indo-européen du ciel, *Dyeus, nous avons étudié le cas du dieu de l’orage et celui du dieu soleil, le premier étant le maître du feu céleste qu’est la foudre, le second étant le maître de l’astre de feu. Le feu joue chez les peuples indo-européens un rôle primordial, en particulier le feu terrestre qui est à la fois le foyer, le feu du sacrifice et le feu dévastateur des forêts et des habitations. C’est pourquoi il dispose d’une grande variété de noms qui servent à désigner et le feu, et souvent son dieu. La première forme est *egnis, que l’on retrouve dans le dieu indien Agni, dans le dieu lituanien Ugnis, le dieu letton Uguns ou le dieu slave Ogon’. On trouve également la forme *ater, qui donnera le dieu iranien Atar. La forme *pur aboutira au nom grec du feu, pûr, mais aussi au dieu hittite Pahhur. La forme *aidhos, au double sens de « feu » et d’ « incendie », sert de racine au nom du dieu irlandais du feu Aeddon. Enfin la forme *ulka, que l’on retrouve dans le nom de Vulcain, désignerait le feu souterrain, la lave.

Le feu terrestre.

La fonction principale du dieu est de s’occuper du feu humain, laissant à d’autres dieux les feux d’autres natures. En ce sens, il est d’une importance religieuse considérable car il veille à toutes les activités humaines. Chez les Slaves, Ogon’ est le dieu du poêle ; il protège la famille contre le froid provoqué par la déesse de l’hiver Marena et veille à la cuisson des aliments. Mais il n’est pas que le dieu du foyer familial, il est le dieu du foyer de la cité. Les Iraniens veillaient à construire de nombreux temples au dieu du feu Atar pour l’honorer, à un point tel que les derniers zoroastriens sont dits aujourd’hui encore « adorateurs du feu ».
Le feu, indispensable à la vie humaine, apparaît dès lors comme un don des dieux. Que l’on voit ce don sous la forme d’un vol comme chez les Grecs avec le mythe de Prométhée, ou que l’on voit le feu comme le fils du dieu céleste, ce don est propre aux hommes. Le mythe du dieu Héphaïstos jeté du haut l’Olympe par son père Zeus rappelle qu’avant tout le feu vient du ciel ; il est la foudre qui s’abat. Chez tous les peuples indo-européens, le feu est donc né du père du ciel. Atar est ainsi le fils d’Ahura Mazda, comme Ogon’ sous le nom de Svarojitch, est le fils du dieu céleste Svarog. Héphaïstos est fils de Zeus, comme Agni est fils de Dyaus. Enfin, le dieu du feu albanais, Zjarr à l’origine, n’est plus appelé qu’Enji, « fils du dieu (céleste) En ».
Le dieu du feu est également le compagnon permanent du dieu de l’orage. C’est l’indien Agni qui redonne ses forces à Indra réfugié sous la mer de peur d’affronter le démon Vritra. C’est Loki qui accompagne de sa ruse Thorr lorsqu’il s’aventure au pays des géants. Vulcain à Rome forge les armes du dieu de la guerre Mars pour que celui-ci puisse aller à la bataille.

Le dieu de la forge

Mais le dieu du feu est aussi indispensable à une activité humaine qui est celle de la métallurgie. Ce métier, aussi nécessaire soit-il, était mal considéré par les anciens Indo-européens. On se méfiait des secrets de la forge et on préférait que cette activité se fasse loin de la cité. C’est ainsi que le dieu forgeron est aussi un dieu magicien, fabriquant d’objets magiques. C’est Héphaïstos qui fabriqua l’armure du héros Achille lors de la guerre de Troie et c’est lui qui est à la source des objets sacrés des dieux, comme le casque d’Athéna, l’épée d’Arès ou le trident Poséidon et jusqu’aux foudres de Zeus lui-même. Il travaille loin de l’Olympe, sur l’île de Lemnos où il tomba jadis par la faute de son père, ou au cœur des volcans en compagnie des Cyclopes.
Mais par la suite l’évolution de la mythologie sépara la fonction de dieu du feu de celle de dieu de la forge. Si Héphaïstos et Vulcain demeurent les deux, cela n’est pas le cas chez autres peuples indo-européens. A côté d’Aeddon les Irlandais possèdent Goibniu, le forgeron des dieux. A côté de Logi, dieu du feu parfois confondu avec Loki, on retrouve Völundr/Wieland, celui qui fabriqua l’anneau des Nibelungen. A côté de l’Agni védique on retrouve le forgeron Tvashtar, de même l’iranien Atar est accompagné de Tashan. Chez les Baltes, le dieu du feu Uguns a un rôle extrêmement effacé à côté du forgeron Kalvaitis. En revanche, chez les Slaves, c’est Svarog, dieu du ciel, qui cumule sa fonction avec celle de la forge. Le dieu hittite Pahhur a un rôle également très modeste à côté du forgeron Hasameli, que les Hittites remerciaient pour leur avoir appris les secrets de la métallurgie du fer.
Le caractère magique de son art se reflète dans la représentation du dieu. Chez les Grecs, le dieu est boiteux ; cette malformation physique est le prix à payer, le sacrifice obligatoire pour acquérir la connaissance des métaux. Mais le dieu est également rusé. Héphaïstos invente de nombreux pièges dont le fameux filet indestructible pour piéger son frère Arès dans les bras de son épouse Aphrodite, comme le rappelle Homère dans l’Odyssée. Loki est également astucieux mais son rôle mythique est ambigu. Au départ purement positif, il prend progressivement une dimension malfaisante. Il est ainsi responsable autant de la récupération par Thorr de son marteau que de la mort du dieu Balder. Tout indique également que Merlin l’enchanteur est avant tout un forgeron.

Le foyer, dieu ou déesse ?

Le dieu indien Agni est autant dieu du feu que du foyer ; il est ainsi le dieu de la famille qu’il réunit autour de lui. Mais les Indo-européens semblent avoir disposé d’une divinité spécifique du foyer. Il s’agit chez les Grecs d’Hestia et de Vesta chez les Romains. On la retrouve sous la forme de l’albanaise Nana e Votrës, « la mère du foyer », ou de la déesse balte Gabija. La grande déesse irlandaise Brigantia est également déité du foyer et disposait, comme Vesta, d’un corps sacerdotal féminin lui étant dévoué.
Chez les anciens, le nouveau-né ou la jeune mariée sont présentés devant la déesse du foyer, personnifiée par le feu de l’âtre, afin que celle-ci les protège et les accueille dans la famille. Le rite de porter sa femme dans la maison juste après les noces est l’héritier de ce fait ; il s’agit de la présenter à la divinité.
Cette déesse du foyer est soit considérée comme l’épouse du dieu du feu soit plus généralement comme une divinité vierge, dont la pureté est indiscutable. Le respect de la pureté du feu en Iran allait jusqu’à rejeter l’incinération, de peur de salir le feu avec sa dépouille.

Le dieu du sacrifice.

Le feu avait également un grand rôle lors des sacrifices car on faisait brûler les bas morceaux pour honorer les dieux. Naturellement le feu avait un rôle décisif dans ces rites et c’est pourquoi on l’associait. En Inde, Agni est avant tout le dieu du sacrifice et le pâle Logi germanique n’est plus que cela. C’est également ce rôle qui est dévolu à l’iranien Atar, associé à tous les actes religieux de la cité.
Le sacrifice était le cœur de la vie religieuse ; ainsi le refus du roi suédois chrétien Ing, à la fin du XIème siècle, d’accomplir le sacrifice sacré, le blot ou sacrifice sanglant, lui valut d’être chassé de l’assemblée d’Uppsala et remplacé parle païen Sven, surnommé Blot car ce dernier avait accepté d’accomplir l’acte. Chez les Grecs, il s’inspire d’un mythe concernant Prométhée. Celui-ci aurait joué un tour aux dieux lors du partage de la viande. Il aurait caché sous de la graisse les bas morceaux et aurait offert aux hommes les meilleurs. Dupés, les Dieux l’auraient puni. Mais le mythe le plus célèbre est celui du vol du feu.

Prométhée et le vol du feu.

Prométhée, dont le nom signifie « le Prévoyant », est considéré selon la mythologie grecque comme celui qui a volé le feu aux dieux pour le donner aux hommes. Or ce n’est qu’une déformation en fait du mythe du dieu du feu, Héphaïstos, dont l’une des épiclèses était justement Prometheus. C’est en jetant Héphaïstos du haut de l’Olympe sur la terre que Zeus a en vérité donné le feu aux hommes et non par un vol. Mais la mythologie grecque a évolué, passant de dieux généreux qui offraient aux hommes de grands bienfaits, comme le don de l’écriture par Hermès, la domestication du cheval par Poséidon, la culture de l’olivier par Athéna ou l’agriculture par Déméter. Dans ce cadre, Héphaïstos avait donné les secrets du feu aux hommes. Or les Grecs progressivement en vinrent à douter de la bonté des dieux et opposèrent à ces deniers la figure rebelle de Prométhée qui se sacrifie, par son supplice dans le Tartare, pour le bien des hommes.
La figure de Prométhée ressemble à s’y méprendre à celle de Loki, lui aussi dieu forgeron et lui aussi jouant de sa ruse pour duper les dieux. Enfin, comme Prométhée dont le foie était dévoré chaque jour par l’aigle de Zeus, Loki est condamné par les dieux à boire le venin d’un serpent. Enfin, Loki est aussi un dieu voleur de feu. Comme Prométhée, Loki est un dieu souffrant.

Le dieu du feu et le Diable.

Lors de la christianisation de l’Europe, l’église récupéra nombre de mythes païens à son profit mais il fallait également que son Diable reprenne la symbolique des vieux dieux. Or Héphaïstos, Vulcain, Prométhée ou Loki, correspondaient parfaitement à ce rôle. Ainsi Loki, sous l’influence chrétienne, prit de nombreux aspects négatifs jusqu’à être à la tête des démons lors du Ragnarök. Le Diable, qui vit dans un monde de feu caché de la lumière, ressemble à s’y méprendre à Vulcain oeuvrant dans son volcan. Lucifer, nouveau Prométhée, s’est rebellé contre Dieu et est devenu l’ange déchu.
Dieu de la technique et du progrès, mais aussi dieu des ouvriers, tel est Héphaïstos, tel devint le Diable pour les chrétiens de l’ère industrielle. Or le dieu du feu a toujours présidé aux destinées humaines et a distingué l’espèce humaine des autres animaux en lui confiant ses secrets. Et que les missiles nucléaires indiens portent le nom du dieu du feu des Veda, Agni, ne doit rien au hasard.

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La déesse de la lune et de la chasse des Indo-européens.

Après avoir étudié le dieu du soleil, il est assez naturel de s’intéresser à sa sœur, la déesse de la lune. Les Grecs faisaient d’ailleurs d’Apollon et d’Artémis les deux jumeaux de Zeus et de Létô, déesse grecque de la nuit analogue à la Ratrî védique.
Cette déesse, qui apparaît parfois sous la forme d’un dieu par une inversion des sexes déjà observée chez le dieu du soleil, se présente souvent sous deux formes séparées, une déité de la lune d’une part et qui porte donc le nom de l’astre en indo-européen, et d’autre part une déesse à proprement parler de la chasse, des forêts et des animaux sauvages. Très tôt, dans les panthéons des peuples indo-européens, la divinité astrale devient marginale alors qu’en revanche la déesse de la chasse est au premier plan.
La lune est en indo-européen *mens ou encore *louksna, « la lumineuse », nom davantage poétique. A partir de la première forme, on trouve la déesse gauloise Mene, la déesse grecque Mênê, la déesse arménienne Amins, le dieu hittite Mên, le dieu lituanien Menulis (letton Menuo), le dieu slave Messiatz, le dieu iranien Mah ou le dieu germanique Mani. A partir de la seconde forme, on trouve la déesse grecque Selênê, la déesse romaine Luna et la déesse arménienne Lusin.
La déesse de la chasse, issue de la précédente, a des noms plus variés, soit en rapport avec l’ours, *arktos en indo-européen, qui semble son animal symbolique par excellence, comme c’est le cas de la déesse grecque Artémis et de la déesse gauloise Artio, ou bien encore sous le nom de *deywona, « la divine », que l’on retrouve dans la déesse romaine Diane, la déesse slave Devona ou encore la déesse albanaise Zanë. Chez les Lituaniens, la déesse s’appelle Medeine, « celle de la forêt ». Chez les Germains, la déesse porte le nom de Skadhi, sœur du dieu Njordhr. Enfin, elle peut apparaître sous la forme d’une déesse des étoiles, comme la celte S(t)irona ou l’indienne Tarâ, de l’indo-européen *ster, « l’étoile ».

La lune, astre protecteur des femmes.

Les anciens Indo-européens avaient déjà rapproché le cycle lunaire du cycle menstruel des femmes et c’est pourquoi ils firent de la lune une déesse bienveillante à l’égard des femmes. Mais comme la Lune n’est visible que la Nuit, et que celle-ci avait une dimension inquiétante aux yeux des hommes, cette déesse avait son côté farouche, en relation avec le monde sombre des forêts et celui des bêtes sauvages. Si l’ours mâle était en relation avec les dieux célestes et orageux – comme c’est le cas de Thor dans le monde scandinave, l’ourse était liée aux femmes et symbolisait la maternité. Ainsi lors de la fête grecque des Brauronies en l’honneur d’Artémis, les jeunes filles dansaient déguisées en ourses.
Artémis comme son homologue Diane, était ainsi la déesse des accouchements, au même titre qu’Ilithye ou Lucine, des jeunes enfants et des adolescentes. L’adolescente, devenue adulte, rompait avec Artémis et lui sacrifiait sa chevelure, avant de se consacrer à Aphrodite puis à Héra, déesse du mariage. C’est en raison de son rôle qu’Artémis était une déesse vierge, comme c’est le cas également des autres déesses indo-européennes de la chasse.
De manière plus générale, si Apollon incarne l’homme, Artémis incarne la femme, dans ses aspects les plus farouches, les plus incompréhensibles aux hommes, la femme dominatrice – elle est la déesse des Amazones – et aussi la femme colérique. Lorsque le chasseur Actéon ose s’aventurer dans son domaine et la voir dans son intimité, la déesse le change en cerf et le fait dévorer par ses propres chiens.
En tant que déesse de l’astre nocturne, elle dispose cependant de fonctions plus favorables aux hommes. Représentée sous les traits d’une belle femme blonde à le peau très pâle, elle était considérée par les Grecs comme l’inspiratrice des poètes et le symbole même du romantisme. Elle était l’épouse du dieu solaire Hélios et les orphiques en avaient fait la mère de Dionysos.

La déesse des forêts.

Pour les anciens Indo-européens, la forêt était à la fois une source indispensable d’alimentation et aussi un espace angoissant, le lieu où règnent les animaux sauvages. Les dieux qui y habitent sont souvent cruels, tel le dieu indien Rudra, le grec Dionysos dans son aspect destructeur ou le latin Silvain. Mais la forêt est surtout le royaume de la déesse de la lune et de la chasse. L’expression « forêt vierge » désigne bien cet espace dans lequel l’homme n’a pas mis les pieds et le mythe des Amazones transposé au cœur de la jungle du Brésil ne doit rien au hasard. La jungle est le royaume par excellence de la déesse vierge, Diane, et de ses servantes amazones. Et l’homme qui s’y aventure ne peut être qu’un dieu ou un héros. On attribue à Arès la paternité de la reine des Amazones, Penthésilée, reine qu’Achille tuera. Avant qu’elle ne meure, le héros achéen verra son visage et en tombera amoureux.
L’aventurier qui ne sied guère à la déesse risque quant à lui de recevoir une flèche de l’archère car, tel son frère Apollon, elle ne quitte pas son arc. La représentation de la déesse avec son arc et ses compagnons ours n’est pas propre au monde grec. Devona la slave et Medeine la balte ne se distinguent pas de son modèle, et de même l’Artio celte. Quant à Skadhi, archère elle est aussi skieuse et parcourt les forêts enneigées de Scandinavie, contrée qui porte son nom.
Lorsque les prêtresses païennes, interdites dans les cités par les princes chrétiens, allèrent se réfugier dans les sombres forêts, elles renouèrent avec leur déesse, et l’église de condamner les « sorcières » qui pratiquent le sabbat en l’honneur de Diane.
Diane est la déesse des femmes combattantes, de la femme qui refuse de céder à Venus ou à Junon. Ces femmes ont fait de la forêt leur domaine, préférant la compagnie des Sylphides à celle des hommes.

La lune mâle et guerrière.

Parallèlement à cette déesse lunaire s’est développé chez certains peuples indo-européens le culte en l’honneur d’un dieu de la lune aux fonctions guerrières et magiques. Le dieu Mên des Hittites ou encore le dieu Menulis des Baltes étaient des dieux combattants, souvent symbolisés par une épée. Le dieu lunaire Çandra était ainsi le protecteur de grands rois indiens guerriers comme Çandragupta, ami d’Alexandre le Grand.
Le lituanien Menulis est le plus combattant de tous. Monté sur un char tiré par un cheval gris, muni d’une épée, il protège les voyageurs et les guerriers. Quant au scandinave Mani, comme sa sœur Sol, monté sur son char il fuit continuellement l’un des loups destructeurs propres à la mythologie germanique. Et Men, dieu des Hittites puis des Phrygiens, était un dieu protecteur des troupeaux mais aussi un dieu infernal.

La déesse des bêtes sauvages.

En tant que déesse de la chasse, elle avait la fonction paradoxale d’être à la fois la protectrice des animaux et en même temps celle des chasseurs à qui elle permettait la prise de proie pour peu qu’ils se montrent respectueux à son égard. Ses animaux sacrés témoignaient de ces deux rôles, puisqu’il s’agissait d’une part de l’ours, surtout la femelle, et d’autre part du chien, l’animal domestique consacré à cette tâche. Le cerf relevait également d’elle bien qu’il était aussi en rapport avec le dieu cornu des forêts, celui que les Celtes appelaient Cernunnos et les Germains Hernè. Il est possible également que la sorcière Circè, qui transforma les compagnons d’Ulysse en loups et en pourceaux, ait été un avatar d’Artémis – Diane. Car il s’agit bien là de son principal pouvoir, faire du chasseur une proie.
Protectrice des forêts, elle l’est donc autant des animaux sauvages et de certains animaux domestiques. Chez les Egyptiens, le chat était l’animal de la déesse du foyer Bastet mais cette déesse pouvait devenir Sekhmet, la cruelle déesse-lionne. Chez les Grecs, le chat est animal d’Artémis et il tue les rats que sèment Apollon son frère pour propager la peste. Avec la christianisation, le chat, surtout noir, animal de la déesse, sera traqué comme symbole des sorcières.

Diane la romaine

Chez les Romains, Diane habitait aussi dans les forêts, sous le nom de Diane Nemorensis, « celle des bois ». Son nom signifie « la divine » par peur probablement de l’appeler de son nom véritable. Par la suite, sous l’empire, elle fut surnommée Lucifera, « la porteuse de lumière », et son culte ne fut pas négligeable, parallèlement au grec Apollon qui deviendra Sol Invictus à la fin de l’empire. Le culte d’Artémis d’Ephèse connut également une diffusion importante. A côté d’une déesse vierge, cette Artémis avait la particularité de posséder de nombreux seins et incarnait ainsi une déesse de la fertilité. La légende locale racontait qu’Artémis, déesse vierge, avait eu un enfant sans avoir de relations sexuelles et que ce dernier était le fondateur d’Ephèse. Ses apparitions auprès des habitants étaient bien connues et c’est pourquoi son temple faisait partie des sept merveilles du monde, au même titre que le temple de Zeus à Olympie.
Lorsque le christianisme se répandit dans l’empire romain, il fit mourir la mère du Christ à Ephèse, et inventa le culte de la Vierge, récupérant le mythe d’Artémis. Paradoxalement alors, Diane servit à la fois de base à la représentation symbolique de Marie, en même temps que l’autre déesse vierge, Minerve – Athéna , et en même temps elle devint la déesse des sorcières, au service du Diable, et ses animaux furent démonisés. Jadis les Européens respectaient la forêt parce qu’ils craignaient la colère de la déesse, mais avec le christianisme la forêt perdit sa dimension sacrée. Cela permit les déforestations médiévales et ce jusqu’à l’évolution actuelle où les forêts reculent, les animaux sauvages disparaissent, par la faute des hommes. De même que Déméter, il est sûr que la déesse vierge ne se laissera pas faire.
Diane incarne aujourd’hui plus que jamais la femme protectrice de la nature, farouche à l’égard des hommes sans vertu. Fille de notre mère, Gaia, Artémis nous annonce le retour de la sauvagerie dans la société des hommes.

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MessageSujet: Re: Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER)   Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER) EmptyLun 18 Sep 2006 - 14:24

Citation :
Le dieu des eaux et de la mer des Indo-européens.

Contrairement à une idée reçue, les Indo-européens originaux connaissaient aussi bien le vaste océan, *ekwor, que la mer en général, *mori. Ils possédaient ainsi un dieu qui patronnait à la fois les sources, les fleuves et rivières, l’eau souterraine, et la mer. Son nom indo-européen originel était probablement *Nebhtus, que l’on retrouve dans la figure du dieu latin Neptunus et du dieu irlandais Nechtan. Par une ressemblance avec l’indo-européen *nepot, « neveu », il était également appelé *Akwom *Nepot, « le neveu des eaux », nom que l’on retrouve dans le dieu indo-iranien Apam Napat, et qui remonte à un mythe dont le sens nous échappe.

Chez les Grecs, il était appelé Poseidôn, c'est-à-dire le « seigneur des eaux », et apparaissait sous cette forme comme l’époux de la déesse de la terre. En Germanie, le dieu de la mer était Aegir, de l’indo-européen *akwa, l’eau. Chez les Slaves et les Baltes, il était appelé Potrimpo chez les premiers et Autrimpas chez les seconds. On le retrouve sous la forme de Talasë, « la mer », chez les Albanais.


Le dieu grec de la mer.


Poséidon, frère de Zeus, était l’une des divinités les plus importantes, et ses fonctions dépassaient largement celles de souverain des mers. En effet, Poséidon et Athéna patronnaient conjointement la ville d’Athènes ; si Athéna avait offert à son peuple l’olivier, le dieu avait offert le cheval, dont un mythe présentait l’animal comme sorti des eaux. C’est sous la forme d’un cheval qu’il avait séduit la déesse de la terre, Déméter, qui s’était métamorphosée en jument. Poséidon régnait au fond des océans dans son palais en compagnie de son épouse Amphitrite et d’un certain nombre de divinités maritimes comme le vieux Nérée ou comme le plus jeune Triton. Mais Poséidon gouvernait aussi les eaux douces et les fleuves impétueux. Il avait également des fonctions guerrières et pas seulement sur la mer. Comme son homologue balte Autrimpas, Poséidon possédait un sceptre incarnant sa souveraineté et servant à susciter les tempêtes, un trident.
Poséidon, associé à Héra, avait également tenté de s’emparer du trône de Zeus mais avait été lourdement puni. Avec Apollon, ils avaient dû construire la citadelle de Troie, mais si le premier soutint la ville contre l’attaque des Achéens, Poséidon passa lui dans le camp grec. Cependant, il punit les Grecs de retour vers la Grèce en suscitant un certain nombre de tempêtes parce que ceux-ci avaient incendié son temple de Troie.


A Rome.

L’homologue latin de Poséidon était Neptune, également honoré par les Etrusques sous le nom de Nethuns. Neptune était avant tout le dieu des eaux souterraines, des lacs et des rivières, du fait que les Romains étaient un peuple d’agriculteurs et non de marins. Dans ce cadre, Neptune était mariée à Salacia, qui désignait l’eau salée de la mer. Chez les Celtes aussi, le dieu Nechtan avait un rôle mineur comme dieu des sources et des puits. En revanche, la fonction maritime était assurée par d’autres dieux comme Manannan mac Lir et comme Lir lui-même, son père, le dieu de la mer par excellence. Manannan patronnait surtout les îles comme celle de Man, qui portait son nom.
Sous l’influence grecque, Neptune fut assimilée à Poséidon. Il y gagna en majesté, obtint un trident lui aussi et prit les mêmes fonctions. Mais Neptune fut surtout le dieu de la guerre maritime et le protecteur contre les attaques des pirates. Auguste l’honora pour avoir assuré la victoire à ses troupes à Action et de même Sextus Pompée, installé en Sicile, fut un dévot de ce dieu.


Chez les peuples du nord.


Les vikings avaient deux grandes divinités maritimes, un dieu incarnant l’océan qui était Aegir, l’époux de la cruelle déesse Ran, dont le palais était au fond de la mer, comme Poséidon. Aegir recevait comme hôtes les hommes morts en mer qui banquetaient à sa table, et un autre dieu protégeant les marins qui était le dieu Njordhr. Ce dernier était l’époux de la déesse de la chasse Skadi, qui avait donné son nom à la Scandinavie, et le frère jumeau du dieu de la fertilité Freyr. Il vivait dans un palais au bord de la mer, dans lequel son épouse allait rarement car elle préférait les forêts aux rives.

Les peuples baltes, réputés pour leur marine marchande mais aussi pour les pillages, possédaient également un certain nombre de déités marines. Les Lettons honoraient Juras Mate, « la mère de la mer », qui présidait aussi à la pêche, et Upes Mate, qui était la déesse des rivières. Chez les Lituaniens, il existait plusieurs grandes divinités de la mer. Grauduse et Jurate étaient de cruelles déesses de l’océan mais Autrimpas était le véritable souverain des mers ainsi que des lacs.
Chez les Slaves, Porenut était le dieu de la mer et possédait aussi un trident comme ses homologues. Il avait quatre visages pour incarner les quatre directions et était muni d’un lot de cartes de navigation.


En Orient.

Apam Napat était le dieu indo-iranien des eaux mais avait également un rôle dans l’apparition du feu, incarné par le dieu Atar. Très vite cependant, il fut remplacé en Inde par le vieux dieu du cosmos, Varuna, qui devint ainsi le dieu de la mer et de la pêche, son symbole étant alors devenu le poisson. En Iran, terre aride, Apam Napat conserva en revanche son importance en incarnant l’eau en toutes circonstances. Il luttait contre l’aridité du désert et aidait à l’irrigation. Il avait également quelques fonctions guerrières comme le Poséidon grec.


En conclusion.


Comme tous les dieux « païens », Neptune fut abandonné au moment de la christianisation mais pourtant de nombreux navires conservèrent par la suite la symbolique du dieu marin, et les marins bons chrétiens d’Europe occidentale avaient toujours une petite pensée pour le préservateur des océans. Aujourd’hui, l’océan est souillé par une humanité irrespectueuse et les constats alarmistes sur le risque d’une montée des océans sont là pour nous rappeler que le dieu de la mer est puissant et redoutable. Les touristes victimes du tsunami en Asie du sud-est ont pu réaliser toute la puissance contenu dans le trident du seigneur des océans. Dans ce XXIème siècle où les dieux semblent annoncer leur retour, souvenons nous que Poséidon est aussi l’ébranleur du sol et le plus puissant des frères de Zeus. Jadis Atlantis fut submergé par les flots. Souhaitons que l’Europe, nouvelle Atlantide aux yeux de Dimitri Merejkovski, ne connaisse pas le même sort.


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MessageSujet: Re: Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER)   Les divinités indo-européennes (articles de Thomas FERRIER) EmptyLun 18 Sep 2006 - 14:24

Citation :
Le dieu des morts des Indo-européens.

A la différence des autres divinités préalablement étudiées, le nom indo-européen du souverain du royaume souterrain est très difficile à reconstituer, même si plusieurs pistes sont intéressantes. Le premier nom indo-européen qu’on pourrait lui attribuer est *Yemos, « jumeau », nom que l’on retrouve dans celui de l’homme primordial de la mythologie germanique, Ymir, mais qui désigne aussi le premier homme dan la mythologie indienne, Yama. Il faudrait ainsi comprendre que chez les Indo-européens, le premier ancêtre qui aurait connu la mort en serait devenu le souverain.

Un autre nom possible de la divinité des morts, féminine cette fois, serait *Kolyos, signifiant « ce qui est caché » et désignant à la fois la déesse et le lieu, et que l’on retrouve dans le nom de la déesse germanique des Enfers, Hel (allemand Hölle), reine de Helheimr. Le monde balto-slave préfère recourir à une divinité masculine des morts, reposant sur la racine *wel-, que l’on retrouve dans le nom du dieu lituanien Velnias (letton Velns), appelé également Pikulis, et de son homologue slave Volos. Ajoutons également que la racine *wel- pourrait être présente dans le nom des Champs Elysées (Elysion) en grec et de Valhöll chez les Scandinaves, et signifierait « un corps » et plus précisément « un mort ». Une autre possibilité enfin serait de rattacher le nom du royaume des morts irlandais, le Sidhe (ou Si), avec le nom du dieu infernal des Grecs, Hadès ou Aidoneus. La présence au début de son nom d’une aspiration, représentée par un esprit rude, laisse penser à la possibilité d’un s primordial et nous ramènerait éventuellement à une base *sed-*onos, la forme *onos indiquant qu’il s’agit d’une divinité, et désignerait alors le dieu des morts. Parmi les autres divinités indo-européennes des morts, on trouve le dieu celte Meduris, en irlandais Midir, dont le nom pourrait signifier « juge », de la racine *med-, « juger, mesurer », ce qui impliquerait l’idée, que l’on retrouve chez les Grecs d’un tribunal infernal.

Enfin, les Romains possédaient un dieu des enfers du nom d’Orcus, terme qui a donné « ogre » en français et que l’on retrouverait également dans le gaulois Orgos. Il est possible qu’en ce domaine les Romains aient conservé le nom originel du dieu, alors que les autres l’auraient perdu.

En complément de cette divinité, il faut ajouter l’existence d’une divinité psychopompe, c'est-à-dire chargé de conduire l’âme des morts de leur sépulture (ou du bûcher) au royaume des morts, et qui serait le dieu des chemins, des frontières, des accords commerciaux et de l’élevage, *Pauson [grec Pan, latin Faunus, indien Pushan, lituanien Pus(k)aitis, probablement le dieu « cornu » chez les Celtes avec Cernunnos et les Germains avec Hernè]. Chez les Slaves, l’héritier de *Pauson et le dieu des morts auraient fusionné pour aboutir au dieu Volos, qui emprunte beaucoup de ses fonctions à Hermès, puisqu’il est non seulement le dieu des morts mais aussi le dieu du commerce et des traités, et enfin le dieu de l’élevage par excellence (скотий бог). Chez les Grecs, Pan demeure un simple dieu de l’élevage et aussi de la peur panique mais c’est Hermès, et par conséquent Mercure à Rome, qui fait office de conducteur des morts au service d’Hadès.


Les enfers antiques.


Dans le monde gréco-romain, le monde des morts et son dieu portent le même nom, à savoir Hadès ou Aidoneus en grec, dont l’étymologie populaire était « l’invisible », et Orcus en latin, mais l’usage de ce nom pour désigner le dieu est généralement par superstition tabou ou du moins peu usité. C’est ainsi que les Grecs préférèrent l’appeler Ploutôn, « le riche », en raison non seulement du nombre d’oboles reçues, puisqu’il fallait payer le passeur ou nocher Charon, mais surtout parce qu’Hadès est le maître des richesses souterraines de la terre, et de même était-il Dis Pater (diues pater, « le riche père ») à Rome. Enfin, certains poètes l’appelaient le Zeus d’en-bas, laissant penser qu’Hadès et Zeus ne faisaient qu’un. Les anciens lui donnaient une épouse, fille de Zeus et de Déméter, à savoir Perséphone (Proserpine en latin), que le dieu aurait enlevé.

Les inferni antiques étaient gardés par un chien tricéphale du nom de Cerbère et que l’on retrouve également en Inde sous le nom de Sarvaras, « le tacheté », et en Germanie sous le nom de Garmr, ce qui permet de dire que nous avons affaire à une représentation proprement indo-européenne des Enfers, bien qu’il soit possible qu’à cette époque le chien était plutôt un loup, comme c’était le cas chez les Etrusques. Il ne faut pas oublier en effet que le dieu infernal portait souvent un casque d’invisibilité en peau de loup, attribut qui était en majesté l’équivalent du trident de Poséidon et du foudre de Zeus.

Le cheminement du mort était complexe et fait d’embûches. Il lui fallait traverser l’Achéron en barque en payant le passeur puis passer Cerbère et enfin se retrouver devant les trois juges infernaux, Minos, Eaque et Rhadamanthe, qui décidaient de son sort. A l’exception des grands impies condamnés directement par les dieux et relégués dans le Tartare, à l’instar d’un Tantale, d’un Sysiphe ou d’un Ixion, le mort était jugé en fonction de ses mérites et de ses fautes, et s’il s’agissait d’un grand criminel, il devait se voir pardonné par le ou les victimes. Les braves, les sages, les hommes célèbres pour leurs actes ou leurs vertus, avaient le privilège de rejoindre le paradis païen.


Ile des bienheureux ou Elysion ?


Le paradis indo-européen semble apparaître sous deux formes, parfois complémentaires, à savoir d’une part une île ou un jardin de pommiers, et d’autre part une vaste prairie.

En Inde et en Iran, le royaume des morts dépend d’un dieu du nom de Yama, sur lequel il règne en compagnie de sa sœur Yami, l’un et l’autre étant le premier couple humain apparu sur terre. Les Iraniens possèdent un équivalent qui est Yima, mais ce dernier est uniquement roi des morts car le premier homme est Gayomart. Mais avec la réforme zoroastrienne, les enfers païens sont remplacés par le paradis des vertueux, le behesht, et l’enfer des criminels, le dozakh. Le mot « paradis » lui-même est indo-européen et signifie « jardin » ; on le retrouve dans le sanscrit paradesha et dans le vieux-persan paradaeza, terme qu’ont repris par la suite les Grecs, et qui devait avoir la forme de *praidhoighos, mot à mot « par delà le mur ».

Les Germains possèdaient outre le Valhöll/Valhalla qui accueillait au service d’Odhinn/Wotan les guerriers morts au combat un jardin paradisiaque du nom d’Asgard, « le jardin des Ases », qui en indo-européen pourrait être *Ansugherdhos, « l’enclos des esprits » ou « le jardin des dieux », et où vivent les héros et les sages en compagnie des divinités. Ce paradis correspond à l’Irij slave, royaume du dieu Svarog, et qui s’oppose au royaume des morts gouverné par le dieu Nav, mais aussi au royaume céleste indien, le Svarga, à rapprocher bien sûr du nom du dieu slave préalablement évoqué, qui est le paradis des guerriers gouverné par Indra et où ceux-ci boivent, mangent et partagent leur couche avec des nymphes, les Apsaras, dont le nom est à rapprocher de celui de la déesse grecque Aphrodite, comme elle nées de l’écume des mers, et qui ont probablement inspiré la vision du paradis musulman. Enfin, sur la colline céleste Dausos, le dieu suprême balte Dievas/Dievs reçoit à sa table les héros.

Les Celtes également possèdent deux royaumes des morts. Bien que chaque dieu ait son royaume des morts personnel, à chaque dieu son Sidhe si on peut dire, le dieu Meduris gère malgré tout l’ensemble. A côté de ce monde souterrain, on trouve l’équivalent de l’Ile des Bienheureux et/ou du Jardin des Hespérides de la mythologie grecque, tout à l’ouest du monde, là où se couche le soleil. Cette île chez les Celtes est Avallon (gaulois Aballo, gallois Avallach, irlandais Emain Ablach), l’île aux pommes de la vie éternelle, et elle correspond bien au jardin germanique abritant les pommes de la déesse Idhunn, déesse de la jeunesse, comme à l’Insula Pomorum romaine. C’est une de ses pommes d’or que jeta la déesse Iris lors d’un banquet, pomme qui récompenserait la plus belle des déesses, et qu’Aphrodite obtint des mains de Pâris, juge pour l’occasion, et qui devint son attribut. C’est pourquoi dans l’antiquité un jeune homme déclarait sa flamme en offrant à sa bien aimée une pomme rouge. Héraclès aussi, qui triompha des gardiens du jardin des Hespérides, un dragon et le géant Géryon, put manger une des pommes d’immortalité ce qui fit que, brûlé sur le bûcher du mont Oeta, Héraclès n’alla pas dans l’Hadès mais rejoint les dieux immortels.

En somme, l’homme du commun, le *wiros, s’il n’a pas accompli de faits mémorables, rejoint le royaume des morts, mais l’homme d’exception, le *neros, celui qui a obtenu la gloire éternelle (*ndhwighom *klewos), rejoint le paradis, qui se présenterait à la fois sous la forme d’une vaste prairie et aussi de forêts de pommiers.


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