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 Didier Bouchon présente la bactérie qui féminise

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Didier Bouchon présente la bactérie qui féminise Empty
MessageSujet: Didier Bouchon présente la bactérie qui féminise   Didier Bouchon présente la bactérie qui féminise EmptyVen 20 Nov 2009 - 13:43

Bonjour, Razz

Petite histoire de bactérie symbiotique qui... influence l'évolution d'un animal...

http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/zoologie/d/fete-de-la-science-didier-bouchon-presente-la-bacterie-qui-feminise_21420/#xtor=RSS-8
Citation :
Didier Bouchon présente la bactérie qui féminise
Par Grégoire Macqueron, Futura-Sciences

Entre la bactérie Wolbachia et le cloporte, c’est une véritable histoire d’amour, histoire réservée en quelque sorte aux femelles. En effet, la première aime tant les femelles qu’elle féminise les mâles. Didier Bouchon, directeur du laboratoire Ecologie Evolution Symbiose de l’Université de Poitiers, nous parle de l’intime relation entre cette bactérie et ce crustacé, le cloporte, qui illustre ce que l'on appelle la co-évolution.

Didier Bouchon est chercheur à l’Université de Poitiers et il étudie les processus co-évolutifs dans la dynamique et l’évolution de la symbiose entre les arthropodes et la bactérie Wolbachia. Pour traquer et comprendre cette perverse sexuelle et son histoire insolite, il parcourt les labos et le monde, en Europe, au Panama, au Brésil, en Thaïlande… Il ramène dans ses valises des collections de cloportes vivants qui sont ensuite élevés, contaminés, broyés et séquencés. Pour Futura-Sciences, il dévoile les détails intimes de ce couple pour le moins étrange.

Futura-Sciences : Vous travaillez sur les interactions entre un arthropode et une bactérie, Wolbachia. Quelles sont les particularités qui rendent ces interactions si étonnantes ?
Didier Bouchon :
Wolbachia est un endosymbionte, autrement dit une bactérie intracellulaire, c’est-à-dire qui vit à l’intérieur des cellules de son hôte. Sa principale particularité est qu’elle manipule la détermination du sexe chez les crustacés terrestres, les cloportes. Elle se transmet via les cellules-œufs des mères et transforme les cellules-œufs qui sont génétiquement des mâles en individus femelles.
FS : Quelles espèces sont contaminées par cette bactérie ?
Didier Bouchon :
Wolbachia a été découverte en 1924 par les chercheurs Wolbach et Hertig à l’intérieur de cellules de moustique. Depuis, cette bactérie a été identifiée chez 60% des espèces d’arthropodes et quelques espèces de nématodes.
FS : Comment opère-t-elle pour transformer les mâles en femelles ?
Didier Bouchon :
Le mécanisme à l’origine de cette féminisation des mâles n’est pas encore connu mais on sait que Wolbachia empêche l’expression de l’hormone androgène, l’hormone des mâles. Sans cette hormone, les organismes adoptent alors le sexe par défaut : femelle.
Pour Wolbachia, les mâles sont des culs-de-sac. Lors de la spermiogenèse, les cellules spermatides perdent 90% de leur cytoplasme pour ne conserver que leur noyau et leur système locomoteur. Tout le reste est éjecté, y compris les bactéries endosymbiotiques. Elles ne peuvent donc être transmises aux générations ultérieures (transmission verticale) par la voie des mâles.
Les ovocytes, en revanche, conservent leur cytoplasme et donc leurs bactéries pour les transmettre, ainsi que les autres organites, à leur progéniture.
FS : Quel avantage tire Wolbachia de ce processus ?
Didier Bouchon :
Du point de vue de Wolbachia, la voie des mâles est une impasse évolutive. Les bactéries ont donc été sélectionnées naturellement pour faciliter leur transmission en féminisant les mâles. Elles ont donc favorisé le développement des femelles. Une femelle produit, statistiquement, 50% de mâles et 50% de femelles. Infectée par Wolbachia, elle produit 100% de femelles, ce qui lui donne un avantage sélectif par rapport aux autres femelles.
FS : Mais les mâles sont tout de même nécessaires à la reproduction, non ?
Didier Bouchon :
Il n’existe pas de population où la transmission de Wolbachia, donc la féminisation, atteint 100%. La transmission est en moyenne de 80 à 90%, 20% des œufs échappent donc à la contamination. Dans les populations infectées, il y a 80-90% de femelles et 10-20% de mâles, mais ceux-ci fécondent beaucoup de femelles. C’est donc suffisant pour la reproduction de la population.
Les populations infectées ont une dynamique très différente des populations sans cette bactérie. Elles sont notamment plus dispersives : les femelles cloportes possèdent une poche marsupiale fermée, le marsupium, qui renferme leurs œufs et d’où naissent une centaine de petits cloportes déjà conformés. Elles disposent en outre d’une spermathèque dans laquelle elles stockent et puisent le sperme de leur première copulation. Elles peuvent ainsi coloniser de nouveaux territoires avec une grande efficacité.
FS : Si Wolbachia est transmise d’une génération à l’autre et n’est jamais trouvée libre dans l’environnement, d’où vient-elle et comment a-t-elle infecté ses hôtes pour la première fois ?
Didier Bouchon :
A l’origine on suppose que l’ancêtre de Wolbachia était une bactérie pathogène des arthropodes. Il y a 100 à 200 millions d’années, une co-évolution aurait provoqué une diminution de la virulence de la bactérie au profit d’une plus grande transmissibilité. Ce processus évolutif, qui se traduit par le passage d’une transmission horizontale (d’individu à individu) vers une transmission verticale (entre générations), est bien connu. Il est probable que les cloportes aient été infectés par les insectes.
Expérimentalement, il a été prouvé qu’une transmission horizontale était possible par contact sanguin. Lorsque deux cloportes blessés sont en contact, ce qui n’est pas impossible vu qu’ils vivent souvent en contact serré sous des pierres, par exemple, le cloporte porteur de Wolbachia peut infecter le second. A l’échelle évolutive, de tels événements sont suffisants pour étendre la répartition de Wolbachia.
La répartition actuelle de la bactérie est essentiellement due aux transferts verticaux auxquels s’ajoutent quelques transferts horizontaux.
FS : Concrètement, comment ces études sont-elles réalisées ?
Didier Bouchon :
D’autres laboratoires, une centaine environ, travaillent sur cette bactérie chez les insectes. Mais nos études sont uniques car nous travaillons sur le cloporte, un crustacé, et que chez celui-ci, Wolbachia entraîne la féminisation des mâles. Nous nous réunissons tous les deux ans lors d’une conférence mondiale, Wolbachia Conference, pour présenter et comparer nos travaux respectifs. C’est important pour vérifier, confronter les modèles et s’assurer que les découvertes et avancées ne concernent pas qu’une seule population mais sont généralisables à l’ensemble du système Wolbachia-hôte.
Ces travaux nous amènent aussi à parcourir le monde et en particulier les tropiques pour étudier le cas des vecteurs de maladies tropicales, comme les moustiques, et prévoir ce qu’il pourrait se passer suite au réchauffement climatique. En effet, les vecteurs se déplacent déjà et certains s’établissent en région méditerranéenne où ils étaient jusque-là absents. Nous allons donc observer sur le terrain les interactions bactérie-hôte et nous prélevons des individus pour les étudier ensuite en laboratoire.
FS : Vous devez donc disposer d’élevages de cloportes, puisque la bactérie ne peut vivre que dans les cellules de son hôte. Comment ces élevages se présentent-ils ?
Didier Bouchon :
Il y a environ 4.000 espèces de cloportes décrites, réparties depuis le cercle polaire jusqu’à l’Equateur. En Europe, il y a 500 à 1.000 espèces décrites.
En laboratoire, nous élevons plus d’une centaine d’espèces, soit 250.000 individus. C’est assez simple à réaliser, il suffit de boîtes avec du terreau, de l’humidité et des éléments végétaux pour les nourrir. La seule contrainte est le nombre de bras que cet élevage requiert. Comme dans les élevages de drosophiles, nous réalisons des élevages contrôlés pour disposer de lignées dont nous connaissons parfaitement les caractéristiques et le pédigree sur 30 ans.
Par ailleurs, nous avons une éthique : tout ce qui rentre est vivant, tout ce qui sort est mort. Cela permet d’éviter toute contamination du milieu par des espèces exotiques et infectées, donc très prolifiques. Comme la bactérie Wolbachia disparaît au-delà de 30°C, il suffit de passer les échantillons à l’étuve pour les stériliser et donc, non, il n’y a aucun risque que les êtres humains soient infectés.
FS : Pourquoi étudiez-vous cette relation écologique, certes surprenante, mais qui semble bien loin des préoccupations de nos concitoyens ?
Didier Bouchon :
Le cadre général d’étude du laboratoire est la symbiose et les échanges entre des bactéries et des organismes eucaryotes d’une part, l’étude des crustacées d’autre part. Or la bactérie Wolbachia est un endosymbionte très fréquent chez les arthropodes, dont font partie les crustacés.
Quant à la question « A quoi ça sert ? », eh bien, Wolbachia pourrait être utilisée comme moyen de lutte biologique. Si l’on contrôle cette bactérie, il est possible de manipuler les populations de ravageurs, que ceux-ci s’attaquent aux cultures ou soient des vecteurs de maladies humaines comme la malaria ou la dengue.
Par exemple, une féminisation des mâles à 100% ferait s’écrouler des populations de ravageurs. Chez l’insecte, la bactérie crée des incompatibilités qui aboutissent à l’avortement. Avec un taux de 100%, les populations touchées s’écrouleraient à leur tour. Il y a ainsi un grand programme financé en partie par la Fondation Bill Gates pour lutter contre la malaria et la dengue.
FS : N’y a-t-il pas un risque à éliminer une espèce, même nuisible, qui a tout de même un rôle écologique ?
Didier Bouchon :
Toutes les populations d’une même espèce ne sont pas des vecteurs de maladie. L’idée est d’éliminer ou de réduire les populations des zones à risques, mais pas l’espèce entière, ce qui pourrait effectivement perturber les écosystèmes.
FS : Vous parlez de contrôler Wolbachia, comment envisagez-vous de le faire ?
Didier Bouchon :
Agir sur Wolbachia, là est le problème ! La bactérie ne peut vivre que dans les cellules de son hôte, elle n’est donc pas cultivable, ce qui empêche bon nombre d’expérimentations. Par transformation génétique, peut-être, mais on ne sait pas encore le faire.
Pour la transmission de la bactérie modifiée, en revanche, il n’y a pas de problème. Il suffit de préparer un broyat à partir d’individus infectés et réaliser ensuite une infection artificielle des populations ciblées.

Pour aller plus loin :
Bouchon D., Cordaux R., Grève P. (2008) Feminizing Wolbachia and the evolution of sex determination in isopods. In Insect Symbiosis, volume 3, K. Bourtzis, T. Miller eds, CRC Press, Boca Raton
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